Médaille Charles Darwin naturaliste collections évolution espèces séleccion naturelle medal
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298-tir 2


Médaille en bronze de la Monnaie de Paris (Poinçon corne dabondance à partir de 1880) .
Frappée en 1970 .
Exemplaire rare, quelques traces de manipulations et de petits chocs minimes .

Artiste / Sculpteur : Cochet .

Dimension : 67 mm .
Poids : 149 g .
Métal : Bronze .

Poinçon sur la tranche (mark on the edge) : Corne dabondance + Bronze + 1970 .

Envoi rapide et soigné.

Le support nest pas à vendre .
The stand is not for sell .

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Charles Robert Darwin [tʃɑːlz ˈdɑːwɪn][2], né le 12 février 1809 à Shrewsbury dans le Shropshire et mort le 19 avril 1882 à Downe dans le Kent, est un naturaliste et paléontologue britannique dont les travaux sur lévolution des espèces vivantes ont révolutionné la biologie avec son ouvrage LOrigine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie, paru en 1859.

Célèbre au sein de la communauté scientifique de son époque pour son travail sur le terrain et ses recherches en géologie, il a adopté lhypothèse émise 50 ans auparavant par le Français Jean-Baptiste de Lamarck selon laquelle toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir dun seul ou quelques ancêtres communs et il a soutenu avec Alfred Wallace que cette évolution était due au processus de sélection naturelle.

Darwin a vu de son vivant la théorie de lévolution acceptée par la communauté scientifique et le grand public, alors que sa théorie sur la sélection naturelle a dû attendre les années 1930 pour être généralement considérée comme lexplication essentielle du processus dévolution. Au XXIe siècle, elle constitue en effet la base de la théorie moderne de lévolution. Sous une forme modifiée, la découverte scientifique de Darwin reste le fondement de la biologie, car elle explique de façon logique et unifiée la diversité de la vie[3].

Lintérêt de Darwin pour lhistoire naturelle lui vint alors quil avait commencé à étudier la médecine à luniversité dÉdimbourg, puis la théologie à Cambridge[4]. Son voyage de cinq ans à bord du Beagle létablit dans un premier temps comme un géologue dont les observations et les théories soutenaient les théories actualistes de Charles Lyell. La publication de son journal de voyage le rendit célèbre. Intrigué par la distribution géographique de la faune sauvage et des fossiles dont il avait recueilli des spécimens au cours de son voyage, il étudia la transformation des espèces et en conçut sa théorie sur la sélection naturelle en 1838. Il fut fortement influencé par les théories de Georges-Louis Leclerc de Buffon.

Ayant constaté que dautres avaient été qualifiés dhérétiques pour avoir avancé des idées analogues, il ne se confia quà ses amis les plus intimes et continua à développer ses recherches pour prévenir les objections qui immanquablement lui seraient faites[A 1]. En 1858, Alfred Russel Wallace lui fit parvenir un essai qui décrivait une théorie semblable, ce qui les amena à faire connaître leurs théories dans une présentation commune[5]. Son livre de 1859, LOrigine des espèces, fit de lévolution à partir dune ascendance commune lexplication scientifique dominante de la diversification des espèces naturelles. Il examina lévolution humaine et la sélection sexuelle dans La Filiation de lhomme et la sélection liée au sexe, suivi par LExpression des émotions chez lhomme et les animaux. Ses recherches sur les plantes furent publiées dans une série de livres et, dans son dernier ouvrage[6], il étudiait les lombrics et leur action sur le sol[7].
Biographie
Enfance et études
Charles Darwin à lâge de sept ans en 1816, un an avant la mort de sa mère, portrait par Ellen Sharples.

Charles Darwin est né dans la maison familiale, dite « maison Mount »[8]. Il est le cinquième d’une fratrie de six enfants d’un médecin et financier prospère, Robert Darwin (1766-1848), et de Susannah Darwin (née Wedgwood) (1765-1817). Il est le petit-fils du célèbre naturaliste et poète Erasmus Darwin (1731-1802)[B 1] du côté paternel et de Josiah Wedgwood (1730-1795), du côté de sa mère. Chacune des deux familles est de confession unitarienne, bien que les Wedgwood aient adopté l’anglicanisme. Robert Darwin, plutôt libre-penseur, accepte que son fils Charles soit baptisé à l’église anglicane. Néanmoins, les enfants Darwin fréquentent avec leur mère la chapelle unitarienne. Le prêcheur de celle-ci devient le maître d’école de Charles en 1817. En juillet de la même année, Susannah Darwin décède alors que Charles na que huit ans. En septembre 1818, il entre au pensionnat de l’école anglicane voisine, lécole de Shrewsbury[A 2]. Aimant peu les matières théoriques scolaires, il préfère galoper à cheval dans la campagne avec son chien, chasser, herboriser, collecter des animaux et des pierres[9].

Darwin passe l’été de 1825 comme apprenti médecin auprès de son père qui soigne les pauvres du Shropshire. À l’automne de la même année, il part en Écosse, à l’université dÉdimbourg pour y étudier la médecine, mais il est révolté par la brutalité de la chirurgie et néglige ses études médicales. Il apprend la taxidermie auprès de John Edmonstone, un esclave noir libéré, qui lui raconte des histoires fascinantes sur les forêts tropicales humides d’Amérique du Sud. Plus tard, dans La Filiation de lhomme et la sélection liée au sexe, il se sert de cette expérience pour souligner que, malgré de superficielles différences d’apparence, « les Nègres et les Européens » sont très proches[K 1].

Durant sa seconde année, Charles Darwin rejoint la Société plinienne (ainsi nommée en hommage à Pline lAncien considéré comme le premier naturaliste), un groupe d’étudiants spécialement intéressés par l’histoire naturelle[C 1] et au sein de laquelle il fait quelques allocutions[10]. Il devient un élève de Robert Edmond Grant, partisan de la théorie de l’évolution du naturaliste français Jean-Baptiste de Lamarck, tout comme son grand-père Erasmus Darwin lavait été. Sur les rivages du Firth of Forth, Charles participe aux recherches de Grant sur les cycles vitaux des animaux marins. Ces recherches portent sur l’homologie, théorie selon laquelle tous les animaux ont des organes similaires ne différant que par leur complexité, ce qui indique leur ascendance commune[A 3]. En mars 1827, Darwin fait un exposé devant ses camarades pliniens sur sa propre découverte : les spores noires souvent trouvées dans des coquilles d’huîtres sont selon lui les œufs d’une sangsue[C 2]. Il suit également les cours de Robert Jameson, s’initie à la stratigraphie géologique, à la classification des plantes et utilise les riches collections du muséum de luniversité, l’un des plus riches d’Europe de son temps[A 4].

En 1827, son père, insatisfait par l’absence de progrès de son jeune fils, l’inscrit pour obtenir un Bachelor of Arts au Christs College de Cambridge. Il s’agit de lui donner un diplôme de théologie, dans lespoir que Charles devienne pasteur anglican[A 5]. Néanmoins, Darwin aime mieux monter à cheval et chasser que se consacrer à ses études[L 1]. Avec son cousin William Darwin Fox, il commence à se passionner pour la collection des coléoptères[L 2]. Fox lui fait rencontrer le révérend John Stevens Henslow, professeur de botanique et grand connaisseur de ces insectes. Darwin rejoint alors les cours d’histoire naturelle d’Henslow et devient son élève préféré. Il est alors connu des autres professeurs comme « l’homme qui marche avec Henslow »[A 6],[L 3]. Quand les examens se rapprochent, Darwin se concentre sur ses études et reçoit des cours privés d’Henslow. Le jeune homme est particulièrement enthousiaste au sujet des écrits de William Paley, dont la Théologie naturelle (1802) et la conception divine de la nature le fascinent[L 4].

« Pour passer l’examen de bachelier, il était également nécessaire de posséder les Preuves du christianisme de Paley et sa Philosophie morale. J’y mis un grand soin, et je suis convaincu que j’aurais pu transcrire la totalité des Preuves avec une correction parfaite, mais non, bien sûr dans la langue de Paley. La logique de ce livre, et je puis ajouter, de sa Théologie naturelle, me procura autant de plaisir qu’Euclide. L’étude attentive de ces ouvrages, sans rien essayer d’apprendre par cœur, fut la seule partie du cursus académique qui, comme je le sentais alors et comme je la crois encore, se révéla de quelque utilité pour l’éducation de mon esprit. Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m’y fiant d’emblée, j’étais charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. »

— Autobiographie, p. 16

Von Sydow a avancé lidée que l’enthousiasme de Darwin pour l’« adaptationisme » religieux de Paley a paradoxalement joué un rôle, plus tard, lors de la formulation de sa théorie de la sélection naturelle[11]. Il passe ses examens en janvier 1831 et, s’il réussit bien en théologie, il remporte de justesse les épreuves de littérature classique, de mathématiques et de physique, arrivant dixième sur une liste de 178 élèves reçus[C 3].

Les obligations universitaires obligent Darwin à rester à Cambridge jusqu’en juin. Suivant les conseils d’Henslow, il ne hâte pas son entrée dans les Ordres. Inspiré par le journal de voyage du naturaliste allemand Alexander von Humboldt, il organise un voyage dans l’île de Tenerife avec quelques camarades d’études eux-mêmes fraîchement diplômés, afin d’étudier l’histoire naturelle des tropiques. Pour mieux se préparer, Darwin rejoint les cours de géologie du révérend Adam Sedgwick et, durant l’été, l’assiste à la réalisation dune carte géologique dans le pays de Galles[C 4]. Après avoir passé une quinzaine de jours avec des amis étudiants à Barmouth, Darwin retourne chez lui et découvre une lettre d’Henslow qui le recommande comme naturaliste approprié (même si sa formation n’est pas complète) pour un poste non payé auprès de Robert FitzRoy, capitaine de lHMS Beagle, lequel part quatre semaines plus tard pour faire la cartographie de la côte de l’Amérique du Sud. Son père s’oppose d’abord à ce voyage de deux ans qu’il considère comme une perte de temps, mais il est finalement convaincu par son beau-frère, Josiah Wedgwood II, et finit par donner son accord à la participation de son fils[A 7].
Voyage du Beagle
Le voyage du Beagle (27 décembre 1831 – 2 octobre 1836).

Sur les cinq années de lexpédition du Beagle (1831-1836), Darwin passe les deux tiers du temps à terre. Il fait un grand nombre dobservations géologiques, récolte des organismes vivants ou fossiles, et conserve avec méthode une riche collection de spécimens, bon nombre dentre eux étant nouveaux pour la science[12]. À plusieurs reprises durant le voyage, il envoie des spécimens à Cambridge, accompagnés de lettres sur ses découvertes. Cela va contribuer à établir sa réputation de naturaliste. Ses longues notes détaillées montrent sa capacité à théoriser et forment la base de ses travaux ultérieurs. Le journal qu’il tient alors, à l’origine destiné à sa famille, est publié sous le titre The Voyage of the Beagle (Le Voyage du Beagle). Il y récapitule ses observations, et fournit des informations sociales, politiques et anthropologiques sur un grand nombre de personnes qu’il rencontre, coloniaux comme indigènes[A 8].

Avant le départ, Robert FitzRoy[N 1],[C 5] avait donné à Darwin le premier volume des Principles of Geology de Sir Charles Lyell qui explique les reliefs terrestres par l’accumulation de processus graduels sur de très longues périodes de temps. À leur première escale à l’île de Santiago au Cap-Vert, Darwin observe une bande blanche en altitude dans des falaises volcaniques, bande composée de fragments de coraux et de coquillages cuits. Cette observation, conforme au principe de Lyell sur la lente montée ou descente des reliefs, ouvre à Darwin une nouvelle perspective sur lhistoire géologique de lîle, et lui donne lidée décrire un livre sur la géologie[C 6]. Cette découverte sera suivie par d’autres encore plus décisives[12]. Il observe que les plaines de Patagonie sont constituées de galets et de coquillages, comme des plages surélevées ; par ailleurs, lors de ses observations sur le séisme du 20 février 1835 à Concepción au Chili, il reprend le témoignage de FitzRoy qui a constaté la présence de bancs de moules au-dessus du niveau des pleines mers, ce qui indique que le niveau de la terre a été récemment surélevé. En altitude, dans les Andes, il observe que des arbres fossiles se sont développés sur une plage de sable, à proximité de coquillages marins. Enfin, il postule que les séismes sont « une étape dans lélévation dune chaîne de montagnes »[13] et émet la théorie selon laquelle les atolls coralliens se forment sur des cônes volcaniques en cours de submersion, ce quil confirme après que le Beagle est passé dans les îles Cocos[A 9],[L 5],[O 1].
Alors que le Beagle explore les côtes sud-américaines (ici la Terre de Feu), Darwin commence à théoriser sur les merveilles de la nature autour de lui. Peinture de Conrad Martens réalisée pendant le voyage.

En Amérique du Sud, Darwin découvre des fossiles de mammifères géants éteints inclus dans des couches de coquillages marins récents, ce qui indique une extinction récente sans pour autant révéler de traces de catastrophe ou de changement climatique. Bien qu’il identifie correctement l’un de ces fossiles à un Megatherium et qu’il reconnaisse des fragments de carapace de tatou local, il estime que ces restes sont reliés à des espèces africaines ou européennes ; c’est seulement après son retour que Sir Richard Owen démontre que ces restes sont en réalité proches de créatures ne vivant quen Amérique[C 7],[14],[A 10].

Le deuxième volume de l’ouvrage de Charles Lyell argumente contre le transformisme de Lamarck et explique la distribution des espèces par des « centres de création » (la création divine ne se serait pas déroulée en une fois, mais en plusieurs fois, après des catastrophes ayant fait disparaître les espèces précédentes)[A 11]. Darwin le reçoit et le lit avec attention, il en déduit des idées qui dépassent ce quavait imaginé Lyell[A 12]. En Argentine, il observe que les deux types de nandous occupent des territoires séparés mais se chevauchant en partie. Sur les îles Galápagos, il collecte des miminis et note qu’ils diffèrent en fonction de l’île de provenance. Il avait également entendu dire que les Espagnols vivant dans ces régions sont capables de dire d’où viennent les tortues à leur simple aspect, mais les Espagnols ont conclu qu’ils les ont eux-mêmes introduites[A 13]. En Australie, l’ornithorynque et le rat-kangourou lui semblent si étranges qu’ils semblent avoir été l’œuvre de deux créateurs différents[M 1].

Au Cap, Darwin et FitzRoy rencontrent Sir John Herschel, qui avait depuis peu écrit à Lyell au sujet du « mystère des mystères », l’origine des espèces. Lorsqu’il organise ses notes pendant son voyage de retour, Darwin écrit que si ses soupçons au sujet des miminis et des tortues sont justes, « de tels faits sapent la stabilité des espèces », puis, il ajoute prudemment le conditionnel « pourraient »[15],[16]. Il écrit plus tard que « de tels faits m’ont semblé jeter un peu de lumière sur l’origine des espèces »[N 2].

Trois indigènes de la Terre de Feu qui avaient été accueillis par le Beagle lors de son précédent voyage sont à bord : ils y reviennent comme missionnaires. Durant leur séjour de deux ans en Angleterre, ils sont devenus des « civilisés », aussi leurs proches apparaissent-ils à Darwin comme des « sauvages malheureux et avilis »[17]. Un an plus tard[N 3], les missionnaires qui ont été laissés sur place ont abandonné leur mission et seul Jemmy Button vient à leur rencontre ; il est en effet retourné à la vie sauvage et il leur annonce quil na « aucun désir de retourner en Angleterre » et quil est « content et comblé » de son sort[M 2]. À cause de cette expérience, Darwin vient à penser que lhomme nest pas tant éloigné des animaux, et que la différence est surtout due à des différences davancées culturelles entre civilisations plutôt quà des différences raciales. Il déteste l’esclavage qu’il a vu ailleurs en Amérique du Sud, et est désolé des effets du peuplement européen sur les aborigènes dAustralie comme sur les Māori de Nouvelle-Zélande[C 8]. FitzRoy est chargé d’écrire le récit officiel du voyage du Beagle ; peu avant la fin du périple, il lit le journal de Darwin et lui demande de le retravailler afin den faire le troisième volume, celui consacré à l’histoire naturelle[C 9].
Début de la théorie de lévolution de Darwin
Encore jeune homme, Charles Darwin rejoint lélite scientifique britannique. Portrait par George Richmond, fin des années 1830.

Alors que Darwin est toujours en voyage, Henslow travaille à faire connaître son ancien élève en communiquant à des naturalistes éminents des exemplaires de fossiles et une brochure de Darwin contenant ses lettres sur la géologie[18]. Au retour du Beagle, le 2 octobre 1836, Charles Darwin est devenu une célébrité dans les cercles scientifiques. Après être passé à sa maison de Shrewsbury et avoir revu sa famille, il retourne au plus vite à Cambridge pour voir Henslow, qui lui conseille de trouver des naturalistes capables de décrire les collections et den établir le catalogue, et qui accepte lui-même de soccuper des spécimens de botanique. Le père de Darwin rassemble alors des fonds qui permettent à son fils de devenir un homme de science financièrement indépendant. Cest donc un Darwin enthousiaste qui fait le tour des institutions de Londres dans lesquelles il est partout honoré. Il cherche alors des experts pour décrire les collections, mais les zoologistes ont un énorme retard dans leur travail et certains spécimens courent le risque dêtre tout simplement oubliés dans les réserves[A 14].

Cest avec une grande curiosité que Charles Lyell rencontre Darwin pour la première fois, le 29 octobre, et il se hâte de le présenter à Sir Richard Owen, un anatomiste promis à un bel avenir, qui a à sa disposition les équipements du Collège royal de chirurgie pour étudier les ossements fossiles que Darwin a recueillis. Parmi les résultats surprenants dOwen figurent des paresseux géants, un crâne semblable à celui dun hippopotame appartenant au Toxodon, un rongeur éteint, ainsi que des fragments de carapace dun énorme tatou disparu (le glyptodon), et que Darwin a dès le départ conjecturé[19],[16]. Ces créatures fossiles nont en effet aucun rapport avec les animaux africains, mais sont étroitement liées aux espèces vivant en Amérique du Sud[A 15],[C 10].
La première esquisse de Darwin dun arbre phylogénétique tirée de son First Notebook on Transmutation of Species (1837).

À la mi-décembre, Darwin se rend à Cambridge pour organiser le travail sur ses collections et réécrire son journal[C 11]. Il rédige son premier article où il montre que la masse continentale sud-américaine connaît une lente surrection et, chaudement appuyé par Lyell, le lit à la Société géologique de Londres le 4 janvier 1837. Le même jour, il offre à la Société zoologique ses exemplaires de mammifères et doiseaux. Lornithologue John Gould ne tarde pas à faire savoir que les oiseaux des Galápagos que Darwin croit être un mélange de merles, de « gros-becs » et de fringillidés, constituent, en fait, treize espèces distinctes de fringillidés. Le 17 février 1837, Darwin est élu au Conseil de la Société géographique et, dans son adresse présidentielle, Lyell présente les conclusions dOwen sur les fossiles de Darwin, en insistant sur le fait que la continuité géographique des espèces confirme ses idées actualistes[A 16],[20].

Le 6 mars 1837, Darwin sinstalle à Londres pour se rapprocher de sa nouvelle charge à la société de géographie. Il se joint au cercle formé autour de scientifiques et de savants comme Charles Babbage notamment, qui croit que Dieu a davance ordonné la vie selon des lois naturelles sans procéder à des créations miraculeuses ad hoc. Darwin vit près de son frère Erasmus, un libre-penseur, qui fait partie du cercle Whig et dont lamie intime, lauteur Harriet Martineau, promeut les idées de Thomas Malthus quon trouve à la base des réformes de la Poor Law prônées par les Whigs. La question de Sir John Herschel sur lorigine des espèces est alors abondamment discutée. Des personnalités du milieu médical, y compris le Dr James Manby Gully vont même jusquà rejoindre Grant dans ses idées de transformation des espèces, mais aux yeux des scientifiques amis de Darwin une hérésie aussi radicale met en péril la base divine de lordre social déjà menacé par la récession et les émeutes[A 17].

Consécutivement John Gould fait savoir que les moqueurs polyglottes des Galápagos originaires des différentes îles sont des espèces distinctes et pas seulement des variétés, tandis que les « troglodytes » constituent encore une autre espèce de fringillidés. Darwin na pas noté précisément de quelles îles proviennent les exemplaires de fringillidés, mais il trouve ces renseignements dans les notes dautres membres de lexpédition sur le Beagle, y compris celles de FitzRoy, qui a enregistré plus soigneusement ce quils ont eux-mêmes collecté. Le zoologiste Thomas Bell montre que les tortues des Galápagos sont indigènes dans larchipel. Avant la mi-mars, Darwin est convaincu que les animaux, une fois arrivés dans les îles, se sont en quelque sorte modifiés pour former sur les différentes îles des espèces nouvelles ; il réfléchit à cette transformation en notant le résultat de ses pensées sur le « carnet rouge » quil a commencé sur le Beagle. À la mi-juillet, il commence son carnet secret, le « carnet B », sur cette transformation et, à la page 36, il écrit « je pense » au-dessus de sa première esquisse dun arbre montrant lévolution[A 18],[16].
Surmenage, maladie et mariage

Alors quil est absorbé dans létude du transformisme, Darwin est pris par des travaux supplémentaires. Tandis quil en est encore à réécrire son Journal, il entreprend de réviser et de publier les rapports dexperts sur ses collections et, avec laide de Henslow, obtient une subvention de 1 000 livres sterling pour financer lécriture de Zoologie du Voyage du H.M.S. Beagle, éditée en plusieurs volumes. Il accepte des délais impossibles à tenir pour cette tâche ainsi que pour un livre sur la Géologie de lAmérique du Sud qui soutient les idées de Lyell. Darwin finit de rédiger son Journal le 20 juin 1837, juste au moment où la reine Victoria monte sur le trône, mais il lui reste encore à corriger les épreuves[C 12].

La santé de Darwin souffre dune réelle surcharge de travail. Le 20 septembre 1837, il ressent des « palpitations du cœur ». Son médecin lui ayant prescrit un mois de repos, il se rend alors à Shrewsbury chez des parents du côté maternel à Maer Hall mais il les trouve trop curieux de ses histoires de voyages pour lui laisser quelque repos. Sa cousine Emma Wedgwood, charmante, intelligente et cultivée, et de neuf mois plus âgée que Darwin, soigne la tante de celui-ci, laquelle est invalide. Son oncle Jos lui fait voir un endroit où des cendres ont disparu sous la glaise et suggère quil peut sagir du travail des lombrics. Cest ainsi lorigine dune conférence que Darwin fait à la Société géologique le 1er novembre, dans laquelle il démontre pour la première fois le rôle des lombrics dans la formation des sols[A 19],[21].

William Whewell incite Darwin à accepter la charge de secrétaire de la Société géologique. Après avoir dabord refusé cette tâche supplémentaire, il accepte le poste en mars 1838[A 20]. En dépit de la besogne apportée par les travaux décriture et dédition, il réalise des progrès remarquables sur le transformisme. Tout en gardant secrètes ses idées sur lévolution, il ne manque aucune occasion dinterroger les naturalistes expérimentés et, de façon informelle, les gens qui possèdent une expérience pratique comme les fermiers et les colombophiles[12],[A 21]. Avec le temps sa recherche sélargit : il se renseigne auprès de sa famille, enfants compris, du majordome de la famille, de voisins, de colons et danciens compagnons de bord[C 13]. Il englobe le genre humain dans ses spéculations initiales et, le 28 mars 1838, ayant observé un singe au zoo, il note la ressemblance entre son comportement et celui dun enfant[A 22].

Tous ces efforts finissent par se faire sentir et, dès juin 1838, il est forcé de saliter quelques jours sans interruption en raison de problèmes destomac, de migraines et de symptômes cardiaques[A 23]. Tout le reste de sa vie, il devra plusieurs fois sarrêter de travailler avec des épisodes de douleurs à lestomac, de vomissements, de furoncles sévères, de palpitations, de tremblements et dautres malaises, surtout dans les moments de tension, comme lorsquil doit assister à des réunions ou répondre à des controverses sur sa théorie. La cause de cette maladie reste inconnue de son vivant, et les traitements nont que peu de succès. Des essais récents de diagnostic suggèrent la maladie de Chagas, que lui ont peut-être communiquée des piqûres dinsectes en Amérique du Sud, la maladie de Menière, la maladie de Lyme[22] ou encore différents troubles psychologiques, comme le trouble panique[23]. Les spécialistes restent encore dans lincertitude à ce sujet[24].
Charles Darwin choisit de se marier avec sa cousine, Emma Wedgwood.

Le 23 juin 1838, il fait une pause dans son travail en allant faire un peu de géologie en Écosse. Il visite Glen Roy par un temps radieux pour voir les « terrasses » parallèles, ces replats taillés à flanc de coteau. Il y voit des plages surélevées, et en effet les géologues ont démontré plus tard quil sagit des berges dun lac glaciaire[A 24],[C 14],[L 6].

Complètement rétabli, il revient à Shrewsbury en juillet. Habitué à prendre continuellement des notes sur la reproduction animale, il griffonne des pensées décousues concernant sa carrière et ses projets sur deux petits morceaux de papier : lun comporte deux colonnes intitulées « Mariage » et « Pas de mariage ». Les avantages comprennent entre autres : « une compagne fidèle et une amie dans la vieillesse… mieux quun chien en tout cas » ; et à lopposé des points comme « moins dargent pour les livres » et « terrible perte de temps »[O 2]. Sétant décidé pour le mariage, il en discute avec son père, et rend ensuite visite à Emma le 29 juillet 1838. Il na pas le temps de faire sa demande en mariage mais, contre les conseils de son père, parle de ses idées sur le transformisme[A 25].

Pendant quil continue ses recherches à Londres, léventail de lectures très large de Darwin comprend alors, « pour se distraire » selon ses termes, la 6e édition de l’Essai sur le Principe de Population de Thomas Malthus ; celui-ci a calculé quen raison du taux de natalité, la population humaine peut doubler tous les 25 ans mais que, dans la pratique, cette croissance est freinée par la mort, la maladie, les guerres et la famine[12],[25],[A 26],[26]. Darwin est bien préparé pour saisir de suite que cela sapplique aussi au « conflit entre les espèces », remarqué pour les plantes par Augustin Pyrame de Candolle, et à la lutte pour la vie parmi les animaux sauvages, et que cest là la raison pour laquelle les effectifs dune espèce demeurent relativement stables. Comme les espèces se reproduisent toujours plus quil ny a de ressources disponibles, les variations favorables rendent les organismes qui en sont porteurs plus aptes à survivre et à transmettre ces variations à leur progéniture, tandis que les variations défavorables finissent par disparaître. Sensuit la formation de nouvelles espèces[A 26],[C 15],[27],[L 7]. Le 28 septembre 1838[12], il note ce nouvel éclairage de la question, le décrivant comme une sorte de moyen épistémologique pour introduire des structures plus adaptées dans les espaces de léconomie naturelle tandis que les structures plus faibles sont éjectées. Il dispose maintenant dune hypothèse de travail. Au cours des mois suivants, il compare les fermiers qui sélectionnent les meilleurs sujets pour lélevage à une Nature malthusienne faisant son choix parmi les variantes créées par le « hasard », « de telle sorte que chaque élément [de chaque] structure nouvellement acquise fût complètement mis en œuvre et perfectionné ». Il voit dans cette analogie « la plus belle partie de [sa] théorie »[A 27].

Le 11 novembre, il revient à Maer et fait sa demande à Emma, en lui exposant encore une fois ses idées. Elle accepte puis, dans les lettres quils échangent, elle montre à quel point elle apprécie sa franchise mais, du fait de son éducation anglicane très pieuse, elle laisse voir sa crainte que de telles hérésies par rapport à la foi puissent mettre en danger ses espoirs de le retrouver dans la vie éternelle. Pendant quil est en quête dun logement à Londres, les épisodes de maladie continuent et Emma lui écrit pour le presser de prendre un peu de repos, remarquant de façon presque prophétique : « Ne retombez donc plus malade, mon cher Charlie, avant que je puisse être auprès de vous pour prendre soin de vous ». Il trouve dans la Gower Street ce que le jeune couple appelle le « Cottage de lAra » (à cause de son intérieur criard), puis Darwin y déménage son « musée » à Noël. Le mariage est prévu pour le 24 janvier 1839, mais les Wedgwood retardent cette date. Le 24, Darwin a lhonneur dêtre élu membre de la Royal Society[A 28]. Le 29 janvier 1839, Darwin et Emma Wedgwood se marient à Maer, au cours dune cérémonie anglicane aménagée pour convenir aux Unitariens. Ils prennent alors immédiatement le train pour Londres et gagnent leur nouveau foyer[A 29].
Préparation de la publication de la théorie de la sélection naturelle

Darwin a trouvé la base de sa théorie de la sélection naturelle, mais il est cependant bien conscient de tout le travail quil reste à faire pour la rendre crédible aux yeux de ses collègues scientifiques, qui le critiquent farouchement. Le 19 décembre 1838, à la réunion de la Société géologique dont il est secrétaire, il voit Owen et Buckland ne rien cacher de leur haine contre lévolution en attaquant la réputation de son vieux maître Grant, disciple de Lamarck[A 30]. Le travail continue sur les conclusions auxquelles il est arrivé à bord du Beagle et, en même temps quil consulte des éleveurs, il multiplie les expériences sur les plantes, essayant de trouver des preuves qui répondent à toutes les objections auxquelles il sattend à partir du moment où sa théorie est communiquée[N 4]. Quand la Narration[28] de FitzRoy est publiée, en mai 1839, le Journal et Remarques de Darwin (plus connu sous le titre Le Voyage du Beagle) qui en constitue le troisième volume rencontre un tel succès que lon en fait une réédition séparée la même année[L 8].
Pendant plusieurs années, Darwin étudie les cirripèdes, ici lanatife Lepas anatifera.

Au début de 1842, Darwin envoie à Lyell une lettre pour lui exposer ses idées ; ce dernier est consterné de voir que celui qui a été son allié refuse maintenant « de voir un commencement à chaque groupe despèces ». En mai, le livre de Darwin sur les récifs coralliens est publié après plus de trois années de travail[29]. En juin il écrit alors une « esquisse sommaire » de sa théorie tenant en 35 pages[A 31],[L 9]. Pour échapper aux pressions de Londres, la famille sinstalle en novembre à la campagne, dans le domaine de Down House. Le 11 janvier 1844, Darwin écrit à son ami, le botaniste Sir Joseph Dalton Hooker, pour lui exposer sa théorie, en disant que cest presque avouer « un meurtre », mais, à son grand soulagement, Hooker croit qu« une modification graduelle des espèces pouvait bien avoir eu lieu » et il exprime son intérêt pour lexplication de Darwin. Vers le mois de juillet, Darwin développe une esquisse de ses vues dans un « essai » de 230 pages[A 32],[L 10]. Ses craintes de voir ses idées écartées comme une sorte de radicalisme lamarckien sont réveillées une nouvelle fois par la controverse que suscite en octobre une publication anonyme (lauteur se révélera être Robert Chambers) intitulée Vestiges de lHistoire naturelle de la Création[30]. Ce livre qui est un best-seller accroît lintérêt de la classe moyenne pour le transformisme, et ouvre ainsi la voie à Darwin. Cet ouvrage est néanmoins sévèrement attaqué par les scientifiques reconnus, ce qui lui rappelle la nécessité de répondre à toutes les difficultés avant de rendre publique sa théorie[B 2]. Darwin termine son troisième livre de géologie, Geological Observations on South America[31] en 1846 et entreprend à partir doctobre une vaste étude sur les cirripèdes avec laide de Hooker. En janvier 1847, Hooker lit l« essai » de Darwin et lui renvoie ses observations ; cest la critique sereine dont Darwin a besoin, même si Hooker remet en question son rejet de lidée dune création continue[A 33],[32],[N 5].

Pour essayer de traiter son état maladif chronique, Darwin se rend à Malvern, une ville thermale, en 1848. La cure de quelques mois lui fait un grand bien et il peut reprendre son travail à son retour. À la mort de son père le 13 novembre, il est néanmoins tellement affaibli quil ne peut assister aux funérailles[L 11]. En 1849, sa fille, Annie, tombe malade, ce qui réveille sa peur que la maladie puisse être héréditaire. Après une longue série de crises elle meurt en avril 1851, et Darwin perd alors toute foi en un Dieu bienveillant[A 34]. En 1851, Marcel de Serres publie Du perfectionnement graduel des êtres organisés [archive], qui illustre lémergence de théories évolutionnistes dans les milieux scientifiques européens.

Les huit années que Darwin passe à travailler sur les cirripèdes lui permettent de trouver des « homologies » qui confortent sa théorie en montrant que de légers changements morphologiques peuvent permettre à différentes fonctions daffronter des conditions nouvelles[L 12]. En 1853, il obtient la médaille royale de la Royal Society, ce qui établit sa réputation comme biologiste[A 34]. En 1854, il reprend le travail sur sa théorie des espèces et, en novembre, se rend compte que la divergence dans le caractère de descendants peut sexpliquer par le fait quils se sont adaptés « à des situations différentes dans léconomie de la nature »[L 13].
Publication de la théorie de la sélection naturelle
Darwin fut contraint à une publication précoce de sa théorie sur la sélection naturelle (portrait de 1854).

Au début de 1855, Darwin cherche à savoir si les œufs et les graines sont capables de survivre à un voyage dans leau salée et délargir ainsi la distribution de leurs espèces à travers les océans[33],[34],[35]. Joseph Dalton Hooker est de plus en plus sceptique quant à la conception traditionnelle selon laquelle les espèces sont immuables, mais son jeune ami Thomas Henry Huxley est fermement opposé à lévolution. Lyell est lui intrigué par les spéculations de Darwin sans se rendre vraiment compte de leur portée. Après avoir lu un article dAlfred Russel Wallace sur l’Introduction des espèces, il trouve des ressemblances avec les idées de Darwin et lui conseille de les publier pour établir son antériorité. Bien que Darwin ne voie là aucune menace, il commence néanmoins à rédiger un article court. Trouver des réponses aux questions difficiles larrête plusieurs fois, et il élargit alors son projet à un « grand livre sur les espèces » intitulé « La Sélection naturelle ». Il continue aussi ses recherches, obtenant des renseignements et des exemplaires auprès de naturalistes du monde entier, y compris Wallace qui travaille à Bornéo. En décembre 1857, Darwin reçoit de Wallace une lettre lui demandant si son livre examine les origines humaines. Il répond quil veut éviter un tel sujet, « si encombré de préjugés », tandis quil encourage lessai de théorisation de Wallace, ajoutant : « Je vais beaucoup plus loin que vous »[A 35].

Darwin en est à mi-chemin de son livre quand, le 18 juin 1858, il reçoit une lettre de Wallace qui décrit la sélection naturelle. Bien quennuyé davoir été « devancé », il la transmet à Lyell comme convenu et, bien que Wallace nait pas demandé quelle soit publiée, il propose de lenvoyer à nimporte quel journal choisi par Wallace. La famille de Darwin est alors plongée dans langoisse car dans le village des enfants meurent de la scarlatine, aussi remet il laffaire entre les mains de Lyell et de Hooker. Ils conviennent de présenter ensemble à la Linnean Society, le 1er juillet le discours intitulé Sur la Tendance des espèces à former des variétés ; et sur la Perpétuation des variétés et des espèces par les moyens naturels de la sélection[5]. Néanmoins, comme Charles, le dernier enfant des Darwin, alors encore au berceau, vient de mourir de la scarlatine, son père est trop bouleversé pour être présent[A 36].

Sur le moment on prête peu dattention à lannonce de cette théorie ; le président de la Linnean remarque en mai 1859 que lannée précédente na été marquée par aucune découverte révolutionnaire[C 16]. Par la suite, Darwin ne peut se souvenir que dune seule recension, celle du professeur Haughton, de Dublin, qui proclame que « tout ce quil y avait là de nouveau était inexact, et tout ce qui était exact nétait pas nouveau »[O 3]. Darwin sacharne pendant treize mois pour écrire un résumé de son « grand livre », souffrant de problèmes de santé, mais encouragé constamment par ses amis scientifiques, et Lyell sarrange pour le faire publier par Sir John Murray[A 37].

Louvrage Sur lOrigine des Espèces au moyen de la Sélection Naturelle, ou la Préservation des Races les meilleures dans la Lutte pour la Vie, titre dhabitude raccourci sous la forme LOrigine des espèces, a auprès du public un succès inattendu. Le tirage entier de 1 250 exemplaires est déjà réservé quand il est mis en vente chez les libraires le 22 novembre 1859[A 38]. Darwin y développe « une longue argumentation » fondée sur des observations détaillées, y expose des inférences et la prise en compte des objections attendues[N 6]. Cependant, sa seule allusion à lévolution chez lhomme est laffirmation, discrète, que « des lumières seront jetées sur lorigine de lhomme et son histoire ». Il évite ainsi le mot « évolution », controversé à lépoque, mais à la fin du livre il conclut que « des formes sans cesse plus belles et plus admirables ont été élaborées et continuent à lêtre »[N 7]. Sa théorie est exposée de façon simple dans lintroduction :

« Comme il naît beaucoup plus dindividus de chaque espèce quil nen peut survivre, et que, par conséquent, il se produit souvent une lutte pour la vie, il sensuit que tout être, sil varie, même légèrement, dune manière qui lui est profitable, dans les conditions complexes et quelquefois variables de la vie, aura une meilleure chance pour survivre et ainsi se retrouvera choisi dune façon naturelle. En raison du principe dominant de lhérédité, toute variété ainsi choisie aura tendance à se multiplier sous sa forme nouvelle et modifiée[N 8]. »

Réactions à sa publication
Caricature montrant Darwin avec un corps de singe et la grande barbe quil se laisse pousser à partir de 1866, magazine Hornet de 1871.

Malgré sa publication dans la précipitation — un de ses confrères, Alfred Russel Wallace, sapprête en effet à publier une théorie similaire —, louvrage de Charles Darwin suscite un vif intérêt, pour lépoque, le stock de 1 250 exemplaires prévus étant épuisé le jour de sa présentation aux librairies, le 22 novembre 1859. Cette première édition épuisée, une seconde de 3 000 exemplaires est publiée en janvier de lannée suivante. Son livre provoque une controverse que Darwin suit de près, conservant les coupures de presse avec les recensions, les articles, les railleries, les parodies et les caricatures[C 17]. Lévolution par la sélection naturelle fut largement discutée, voire dénigrée, particulièrement dans les communautés religieuses et scientifiques. Bien que Darwin soit soutenu par certains scientifiques (par exemple, Thomas Henry Huxley[B 3], Ernest Renan ou encore Ernst Haeckel qui le popularise très tôt en Allemagne), dautres hésitent à accepter sa théorie à cause de la capacité inexpliquée des individus à transmettre leurs capacités à leurs descendants. En effet, Darwin reprend lidée, très populaire à lépoque, de la transmission des caractères acquis ; il en propose même une théorie dans son ouvrage de 1868. Ce dernier point est pourtant étudié au même moment par Gregor Mendel, mais il ne semble pas que les deux hommes aient communiqué à ce propos[36],[37]. Même avec les lois de Mendel, le mécanisme sous-jacent reste un mystère jusquà ce que lon découvre lexistence des gènes.

Les critiques hostiles ont très tôt fait de tirer les conséquences qui ne sont pas exprimées, comme le fait que « les hommes descendent des singes ». Pourtant, dans LOrigine des espèces, Darwin ne parle pas des origines de lhomme. Le public confond les idées exprimées dans le livre de Darwin avec celles de Lamarck, qui cinquante ans auparavant a avancé cette idée, sans alors faire scandale. Parmi les réponses favorables, les recensions de Huxley adressent des critiques à Richard Owen, chef de lestablishment scientifique quil voulait ébranler. Le verdict dOwen reste inconnu jusquà ce que son compte-rendu davril condamne finalement le livre[A 39]. Lestablishment scientifique de lÉglise dAngleterre, qui comprend les anciens maîtres de Darwin à Cambridge, Adam Sedgwick et John Stevens Henslow, réagit de façon hostile, malgré un accueil favorable dans la génération plus jeune des naturalistes professionnels. En 1860 cependant, la publication de Essays and Reviews par sept théologiens anglicans libéraux détourne de Darwin lattention des hommes dÉglise. Ces derniers condamnent comme hérétique une telle manifestation de la critique libérale car on y trouve entre autres cet argument que, par les miracles, Dieu enfreint ses propres lois[A 40].
Autre célèbre caricature de Darwin, française, reproduite dans le magazine satirique La Petite Lune.

Le débat public le plus fameux a lieu à Oxford lors dune réunion de lAssociation britannique pour lAvancement des Sciences. Le professeur John William Draper prononce un long plaidoyer en faveur de Darwin et du progrès social ; cest alors que lévêque dOxford, Samuel Wilberforce, sen prend à Darwin. Dans la discussion qui sensuit, Joseph Dalton Hooker prend énergiquement parti pour Darwin tandis que Thomas Huxley se constitue comme le « bouledogue de Darwin ». Il fut en effet le défenseur le plus farouche de la théorie de lÉvolution à lépoque victorienne. Les deux partis se séparent en criant victoire chacun, mais Huxley reste célèbre par sa réponse. Comme Wilberforce lui avait demandé sil descend du singe par son grand-père ou par sa grand-mère, Huxley rétorque : « cest Dieu lui-même qui vient de le livrer entre mes mains » et il réplique quil « préférerait descendre dun singe plutôt que dun homme instruit qui utilisait sa culture et son éloquence au service du préjugé et du mensonge »[38],[A 41].

Le débat déborde le cadre de la science, de lÉglise anglicane et du protestantisme. Les autorités de lÉglise catholique entrent dans la polémique. Dès 1860, en effet, une réunion dévêques qui se tient à Cologne[39] précise la position catholique. Sans condamner Darwin, ni le principe de lévolution des espèces animales, les évêques affirment quune intervention divine est nécessaire au moins à lorigine de lunivers (pour lui donner son existence et ses lois) ainsi que lors de lapparition de lhomme. Ce sera désormais la position constante des autorités catholiques (moins hostiles à lévolution que les courants protestants dits « créationnistes »).

Tenu éloigné des discussions publiques par sa maladie, Darwin nen lit pas moins avec passion ce quon rapporte et reçoit des soutiens par courrier. Asa Gray convainc un éditeur aux États-Unis de payer des droits dauteur, et Darwin fait venir et distribue la brochure de Gray qui montre que la sélection naturelle nest nullement incompatible avec la théologie naturelle[A 42],[40]. En Grande-Bretagne, ses amis, y compris Hooker[41] et Lyell[42], prennent part aux discussions scientifiques quHuxley mène avec rage pour briser la domination de lÉglise, incarnée par Owen, en faveur dune nouvelle génération de professionnels de la science. Owen commet en effet lerreur dinvoquer certaines différences anatomiques entre le cerveau du singe et le cerveau humain, et accuse Huxley de soutenir que « lhomme descend du singe ». Huxley est heureux de soutenir cette opinion et sa campagne, qui dure plus de deux ans, est une vraie catastrophe pour Owen et la « vieille garde »[A 43], qui se trouvent ainsi éliminés des débats. Les amis de Darwin forment alors le « Club X ». Ils laident à lui valoir lhonneur de la médaille Copley que lui décerne la Royal Society en 1864[42].

Si louvrage Vestiges a déjà suscité dans le public le plus vaste intérêt, LOrigine des espèces est traduit dans un grand nombre de langues et connaît de nombreuses réimpressions, devenant un texte scientifique de base accessible aussi bien à une classe moyenne curieuse de cette nouveauté quaux simples travailleurs qui se pressent aux conférences dHuxley. La théorie de Darwin[43] correspond dailleurs aux différents mouvements sociaux de lépoque[44] et elle devient un des fondements clés de la culture populaire (par exemple, la chanson A lady fair of lineage high de William S. Gilbert et Arthur Sullivan interprétée par Princess Ida, qui décrit lascendance simiesque de lhomme, mais pas des femmes).
Descent of Man et dernières années
Portrait de Charles Darwin réalisé en 1868 par Julia Margaret Cameron.
Portrait de Charles Darwin en 1875 par Walter William Ouless.

Malgré des rechutes continuelles pendant les vingt-deux dernières années de sa vie, Darwin continue son travail. Il publie un résumé de sa théorie mais les aspects les plus controversés de son « grand livre » restent incomplets, y compris la preuve explicite du fait que lhumanité descend danimaux antérieurs à elle, et la recherche de causes possibles qui sont à la base du développement de la société et des capacités mentales de lhomme. Il doit encore expliquer des caractéristiques sans utilité évidente si ce nest dans un but esthétique. Darwin continue par conséquent à faire des expériences, à chercher et à écrire.

Quand la fille de Darwin tombe malade, il suspend ses expériences sur les semences et les animaux domestiques pour laccompagner au bord de la mer ; là il sintéresse aux orchidées[45],[46] et il en résulte une étude révolutionnaire sur la façon dont la beauté des fleurs sert à assurer la pollinisation par les insectes et à garantir une fertilisation avec croisement. Comme avec les balanes, les parties homologues remplissent des fonctions différentes chez les diverses espèces. De retour chez lui, il retrouve son lit de malade dans une pièce que remplissent ses expériences sur les plantes grimpantes. Il reçoit la visite dErnst Haeckel, un de ses admirateurs et qui a propagé sa théorie en Allemagne[47]. Wallace continue aussi à le soutenir, bien quil verse de plus en plus dans le spiritisme[48].

De la variation des animaux et des plantes sous laction de la domestication (1868)[49] constitue la première partie du « grand livre » que Darwin projette décrire. Il travaille alors au développement du « résumé » quil a publié sous le titre LOrigine des espèces. Cette première partie sagrandit jusquà devenir deux gros volumes, le forçant à laisser de côté lévolution humaine et la sélection sexuelle. Elle se vend bien malgré sa taille[A 44].

Dans ce livre, Darwin continue à soutenir quune des causes de lévolution est leffet de lusage et du non-usage, théorie déjà exposée par Lamarck[50] quon appela plus tard transmission ou hérédité des caractères acquis[51]. Il sefforce maintenant de donner une explication théorique de lhérédité des caractères acquis à laide de lhypothèse de la pangenèse[52],[53]. Un livre supplémentaire de démonstrations, qui traite dans le même style de la sélection naturelle, est écrit en grande partie, mais reste inédit jusquà ce quil soit transcrit en 1975[54].

La question de lévolution humaine a été soulevée par ses partisans (et ses détracteurs) peu de temps après la publication de LOrigine des espèces[55], mais la contribution propre de Darwin sur ce sujet apparaît plus de dix ans plus tard avec louvrage en deux volumes La Filiation de lhomme et la sélection liée au sexe, publié en 1871. Dans le deuxième volume, Darwin délivre en toutes lettres sa conception de la sélection sexuelle pour expliquer lévolution de la culture humaine, les différences entre les sexes chez lhomme et la différenciation des races humaines, aussi bien que les sons et la musique ou encore la beauté du plumage chez les oiseaux, lequel ne semble pas, selon lui, le résultat dune adaptation[56]. Lannée suivante Darwin publie son dernier travail important, LExpression des émotions chez lhomme et les animaux, consacré à lévolution de la psychologie humaine et sa proximité avec le comportement des animaux. Il développe ses idées selon lesquelles chez lhomme lesprit et les cultures sont élaborés par la sélection naturelle et sexuelle[57], conception qui a connu une nouvelle jeunesse à la fin du XXe siècle avec lémergence de la psychologie évolutionniste[58]. Comme il conclut dans La Filiation de lHomme, Darwin estime quen dépit de toutes les « qualités nobles » de lhumanité, et des « pouvoirs quelle avait développés », « Lhomme porte toujours dans sa constitution physique le sceau ineffaçable de son humble origine »[K 2]. Ses expériences et ses recherches concernant lévolution trouvent leur conclusion dans des ouvrages sur le mouvement des plantes grimpantes, les plantes insectivores, les effets des croisements des plantes et leur auto-fertilisation, les différentes formes de fleurs sur des plantes de la même espèce, toutes recherches publiées dans La Capacité des plantes à se mouvoir. Dans ce dernier livre, il revient également à linfluence des lombrics sur la formation des sols[6].

Charles Darwin meurt à Downe, dans le Kent, le 19 avril 1882. Il a demandé à être enterré au cimetière St. Mary à Downe[59], mais sur les instances des collègues de Darwin, et notamment William Spottiswoode, président de la Société royale qui intervient pour quil reçoive des funérailles officielles, il est enterré dans labbaye de Westminster, près de lastronome John Herschel et du physicien Isaac Newton[C 18].
Enfants de Darwin
Darwin en 1842 avec son fils aîné, William Erasmus Darwin.
Darwin en 1842 avec son fils aîné, William Erasmus Darwin.
Les enfants de Darwin
William Erasmus Darwin (27 décembre 1839 – 8 juin 1914)
Anne Elizabeth Darwin (2 mars 1841 – 22 avril 1851)
Mary Eleanor Darwin (23 septembre 1842 – 16 octobre 1842)
Henrietta Emma Etty Darwin (25 septembre 1843 – 17 décembre 1929)
George Howard Darwin (9 juillet 1845 – 7 décembre 1912)
Elizabeth Bessy Darwin (8 juillet 1847 – 1926)
Francis Darwin (16 août 1848 – 19 septembre 1925)
Leonard Darwin (15 janvier 1850 – 26 mars 1943)
Horace Darwin (13 mai 1851 – 29 septembre 1928)
Charles Waring Darwin (6 décembre 1856 – 28 juin 1858)

Les Darwin eurent dix enfants : deux moururent en bas âge, et la disparition dAnnie, alors quelle navait que dix ans, affecta profondément ses parents. Charles était un père dévoué et très attentif envers ses enfants. Chaque fois quils tombaient malades, il craignait que ce soit dû à la consanguinité, puisquil avait épousé sa cousine, Emma Wedgwood. Il se pencha sur cette question dans ses écrits, mettant en opposition les avantages des croisements chez beaucoup dorganismes[A 45]. Malgré ses craintes, la plupart des enfants qui survécurent firent des carrières remarquables, se distinguant même à lintérieur de la famille Darwin-Wedgwood, déjà composée desprits fort brillants[60].

Parmi eux, George, Francis et Horace devinrent membres de la Royal Society, se signalant respectivement comme astronome[61], botaniste et ingénieur civil[62]. Son fils Leonard fut militaire, politicien, économiste. Partisan de leugénisme, il eut comme disciple Sir Ronald Aylmer Fisher (1890-1962)[63], statisticien et biologiste de lévolution.
Conceptions religieuses de Charles Darwin
Article détaillé : Opinion de Charles Darwin sur la religion.
La mort de sa fille, Annie, en 1851, fut lévénement qui écarta Darwin, déjà en proie au doute, de la foi en un Dieu bienfaisant.

Bien que sa famille fût en majorité non-conformiste et que son père, son grand-père et son frère fussent libres-penseurs[A 46], au début, Darwin ne doutait pas de la vérité littérale de la Bible[L 14]. En ce sens, « lœuvre de Darwin et sa postérité sinscrivent plus précisément encore dans le cadre de lépoque victorienne »[B 4]. Il avait fréquenté une école de lÉglise dAngleterre, puis étudié la théologie anglicane à Cambridge pour embrasser une carrière ecclésiastique[A 47]. Il avait été convaincu par largument téléologique de William Paley qui voyait dans la nature un dessein prouvant lexistence de Dieu[L 4] ; cependant, au cours du voyage du Beagle Darwin se demanda, par exemple, pourquoi de superbes créatures avaient été faites au fond des océans là où personne ne pourrait les voir, ou comment il était possible de concilier la conception de Paley dun dessein bienveillant avec la guêpe ichneumon qui paralyse des chenilles pour les donner à ses œufs comme des aliments vivants[64],[65],[L 15]. Il restait tout à fait orthodoxe et citait volontiers la Bible comme une autorité dans le domaine de la morale, mais ne croyait plus à lhistoricité de lAncien Testament[O 4].

Alors quil menait ses recherches sur la transformation des espèces Darwin savait que ses amis naturalistes y voyaient une hérésie abominable qui mettait en péril les justifications miraculeuses sur lesquelles était fondé lordre social ; sa théorie ressemblait alors aux arguments radicaux quutilisaient les dissidents et les athées pour attaquer la position privilégiée de lÉglise dAngleterre en tant quÉglise établie[A 48]. Bien que Darwin eût écrit que la religion était une stratégie tribale de survivance, il croyait cependant toujours que Dieu était le législateur suprême[66],[67]. Cette conviction fut peu à peu ébranlée et, avec la mort de sa fille Annie en 1851, il finit par perdre toute foi dans le christianisme[A 49]. Il continua à aider son église locale pour le travail paroissial, mais le dimanche il allait se promener pendant que sa famille se rendait à léglise. Désormais, il jugeait préférable de regarder la douleur et les souffrances comme le résultat de lois générales plutôt que dune intervention directe de Dieu[L 16]. Interrogé sur ses conceptions religieuses, il écrivit quil navait jamais été un athée dans le sens où il aurait nié lexistence de Dieu mais que, de façon générale, « cest lagnosticisme qui décrirait de la façon la plus exacte [son] état desprit »[L 17].

Le Récit de Lady Hope, publié en 1915, soutenait que Darwin était revenu au christianisme au cours de sa dernière maladie. Une telle affirmation a été démentie par ses enfants et les historiens lont également écartée. Sa fille, Henrietta, qui était à son lit de mort, a en effet dit que son père nétait pas retourné au christianisme[68]. Ses derniers mots ont été en réalité adressés à Emma : « Rappelez-vous la bonne épouse que vous avez été »[C 19].
Darwinisme
Théorie de la sélection naturelle
Article détaillé : Sélection naturelle.

Si la théorie du transformisme de Lamarck a ouvert la voie, la révolution évolutionniste est arrivée avec Charles Darwin et son ouvrage De lorigine des espèces (1859) dans lequel deux grandes idées, appuyées par des faits, émergent : lunité et la diversité du vivant sexpliquent par lévolution, et le moteur de lévolution adaptative est la sélection naturelle. Un manuscrit inachevé de 1856-1858 permet dattirer lattention sur le fait que la théorie de la sélection naturelle telle quexposée dans De lOrigine des Espèces nétait pour Darwin quun résumé provisoire de ses vues. Darwin avait en effet projeté décrire trois volumes (lun sur les variations des espèces domestiques, un second sur celles à létat de nature et un dernier consacré à la sélection naturelle générale). La crainte de perdre la paternité de sa découverte au profit de Alfred Wallace poussa Darwin à ne publier que ses écrits provisoires et partiels. En effet, seul le premier parut, en 1868, dans De lOrigine des Espèces, accompagné de réponses à déventuelles critiques sur divers sujets[B 5].
Histoire de lexpression
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298-tir 2


Médaille en bronze de la Monnaie de Paris (Poinçon corne dabondance à partir de 1880) .
Frappée en 1970 .
Exemplaire rare, quelques traces de manipulations et de petits chocs minimes .

Artiste / Sculpteur : Cochet .

Dimension : 67 mm .
Poids : 149 g .
Métal : Bronze .

Poinçon sur la tranche (mark on the edge) : Corne dabondance + Bronze + 1970 .

Envoi rapide et soigné.

Le support nest pas à vendre .
The stand is not for sell .

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Charles Robert Darwin [tʃɑːlz ˈdɑːwɪn][2], né le 12 février 1809 à Shrewsbury dans le Shropshire et mort le 19 avril 1882 à Downe dans le Kent, est un naturaliste et paléontologue britannique dont les travaux sur lévolution des espèces vivantes ont révolutionné la biologie avec son ouvrage LOrigine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie, paru en 1859.

Célèbre au sein de la communauté scientifique de son époque pour son travail sur le terrain et ses recherches en géologie, il a adopté lhypothèse émise 50 ans auparavant par le Français Jean-Baptiste de Lamarck selon laquelle toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir dun seul ou quelques ancêtres communs et il a soutenu avec Alfred Wallace que cette évolution était due au processus de sélection naturelle.

Darwin a vu de son vivant la théorie de lévolution acceptée par la communauté scientifique et le grand public, alors que sa théorie sur la sélection naturelle a dû attendre les années 1930 pour être généralement considérée comme lexplication essentielle du processus dévolution. Au XXIe siècle, elle constitue en effet la base de la théorie moderne de lévolution. Sous une forme modifiée, la découverte scientifique de Darwin reste le fondement de la biologie, car elle explique de façon logique et unifiée la diversité de la vie[3].

Lintérêt de Darwin pour lhistoire naturelle lui vint alors quil avait commencé à étudier la médecine à luniversité dÉdimbourg, puis la théologie à Cambridge[4]. Son voyage de cinq ans à bord du Beagle létablit dans un premier temps comme un géologue dont les observations et les théories soutenaient les théories actualistes de Charles Lyell. La publication de son journal de voyage le rendit célèbre. Intrigué par la distribution géographique de la faune sauvage et des fossiles dont il avait recueilli des spécimens au cours de son voyage, il étudia la transformation des espèces et en conçut sa théorie sur la sélection naturelle en 1838. Il fut fortement influencé par les théories de Georges-Louis Leclerc de Buffon.

Ayant constaté que dautres avaient été qualifiés dhérétiques pour avoir avancé des idées analogues, il ne se confia quà ses amis les plus intimes et continua à développer ses recherches pour prévenir les objections qui immanquablement lui seraient faites[A 1]. En 1858, Alfred Russel Wallace lui fit parvenir un essai qui décrivait une théorie semblable, ce qui les amena à faire connaître leurs théories dans une présentation commune[5]. Son livre de 1859, LOrigine des espèces, fit de lévolution à partir dune ascendance commune lexplication scientifique dominante de la diversification des espèces naturelles. Il examina lévolution humaine et la sélection sexuelle dans La Filiation de lhomme et la sélection liée au sexe, suivi par LExpression des émotions chez lhomme et les animaux. Ses recherches sur les plantes furent publiées dans une série de livres et, dans son dernier ouvrage[6], il étudiait les lombrics et leur action sur le sol[7].
Biographie
Enfance et études
Charles Darwin à lâge de sept ans en 1816, un an avant la mort de sa mère, portrait par Ellen Sharples.

Charles Darwin est né dans la maison familiale, dite « maison Mount »[8]. Il est le cinquième d’une fratrie de six enfants d’un médecin et financier prospère, Robert Darwin (1766-1848), et de Susannah Darwin (née Wedgwood) (1765-1817). Il est le petit-fils du célèbre naturaliste et poète Erasmus Darwin (1731-1802)[B 1] du côté paternel et de Josiah Wedgwood (1730-1795), du côté de sa mère. Chacune des deux familles est de confession unitarienne, bien que les Wedgwood aient adopté l’anglicanisme. Robert Darwin, plutôt libre-penseur, accepte que son fils Charles soit baptisé à l’église anglicane. Néanmoins, les enfants Darwin fréquentent avec leur mère la chapelle unitarienne. Le prêcheur de celle-ci devient le maître d’école de Charles en 1817. En juillet de la même année, Susannah Darwin décède alors que Charles na que huit ans. En septembre 1818, il entre au pensionnat de l’école anglicane voisine, lécole de Shrewsbury[A 2]. Aimant peu les matières théoriques scolaires, il préfère galoper à cheval dans la campagne avec son chien, chasser, herboriser, collecter des animaux et des pierres[9].

Darwin passe l’été de 1825 comme apprenti médecin auprès de son père qui soigne les pauvres du Shropshire. À l’automne de la même année, il part en Écosse, à l’université dÉdimbourg pour y étudier la médecine, mais il est révolté par la brutalité de la chirurgie et néglige ses études médicales. Il apprend la taxidermie auprès de John Edmonstone, un esclave noir libéré, qui lui raconte des histoires fascinantes sur les forêts tropicales humides d’Amérique du Sud. Plus tard, dans La Filiation de lhomme et la sélection liée au sexe, il se sert de cette expérience pour souligner que, malgré de superficielles différences d’apparence, « les Nègres et les Européens » sont très proches[K 1].

Durant sa seconde année, Charles Darwin rejoint la Société plinienne (ainsi nommée en hommage à Pline lAncien considéré comme le premier naturaliste), un groupe d’étudiants spécialement intéressés par l’histoire naturelle[C 1] et au sein de laquelle il fait quelques allocutions[10]. Il devient un élève de Robert Edmond Grant, partisan de la théorie de l’évolution du naturaliste français Jean-Baptiste de Lamarck, tout comme son grand-père Erasmus Darwin lavait été. Sur les rivages du Firth of Forth, Charles participe aux recherches de Grant sur les cycles vitaux des animaux marins. Ces recherches portent sur l’homologie, théorie selon laquelle tous les animaux ont des organes similaires ne différant que par leur complexité, ce qui indique leur ascendance commune[A 3]. En mars 1827, Darwin fait un exposé devant ses camarades pliniens sur sa propre découverte : les spores noires souvent trouvées dans des coquilles d’huîtres sont selon lui les œufs d’une sangsue[C 2]. Il suit également les cours de Robert Jameson, s’initie à la stratigraphie géologique, à la classification des plantes et utilise les riches collections du muséum de luniversité, l’un des plus riches d’Europe de son temps[A 4].

En 1827, son père, insatisfait par l’absence de progrès de son jeune fils, l’inscrit pour obtenir un Bachelor of Arts au Christs College de Cambridge. Il s’agit de lui donner un diplôme de théologie, dans lespoir que Charles devienne pasteur anglican[A 5]. Néanmoins, Darwin aime mieux monter à cheval et chasser que se consacrer à ses études[L 1]. Avec son cousin William Darwin Fox, il commence à se passionner pour la collection des coléoptères[L 2]. Fox lui fait rencontrer le révérend John Stevens Henslow, professeur de botanique et grand connaisseur de ces insectes. Darwin rejoint alors les cours d’histoire naturelle d’Henslow et devient son élève préféré. Il est alors connu des autres professeurs comme « l’homme qui marche avec Henslow »[A 6],[L 3]. Quand les examens se rapprochent, Darwin se concentre sur ses études et reçoit des cours privés d’Henslow. Le jeune homme est particulièrement enthousiaste au sujet des écrits de William Paley, dont la Théologie naturelle (1802) et la conception divine de la nature le fascinent[L 4].

« Pour passer l’examen de bachelier, il était également nécessaire de posséder les Preuves du christianisme de Paley et sa Philosophie morale. J’y mis un grand soin, et je suis convaincu que j’aurais pu transcrire la totalité des Preuves avec une correction parfaite, mais non, bien sûr dans la langue de Paley. La logique de ce livre, et je puis ajouter, de sa Théologie naturelle, me procura autant de plaisir qu’Euclide. L’étude attentive de ces ouvrages, sans rien essayer d’apprendre par cœur, fut la seule partie du cursus académique qui, comme je le sentais alors et comme je la crois encore, se révéla de quelque utilité pour l’éducation de mon esprit. Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m’y fiant d’emblée, j’étais charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. »

— Autobiographie, p. 16

Von Sydow a avancé lidée que l’enthousiasme de Darwin pour l’« adaptationisme » religieux de Paley a paradoxalement joué un rôle, plus tard, lors de la formulation de sa théorie de la sélection naturelle[11]. Il passe ses examens en janvier 1831 et, s’il réussit bien en théologie, il remporte de justesse les épreuves de littérature classique, de mathématiques et de physique, arrivant dixième sur une liste de 178 élèves reçus[C 3].

Les obligations universitaires obligent Darwin à rester à Cambridge jusqu’en juin. Suivant les conseils d’Henslow, il ne hâte pas son entrée dans les Ordres. Inspiré par le journal de voyage du naturaliste allemand Alexander von Humboldt, il organise un voyage dans l’île de Tenerife avec quelques camarades d’études eux-mêmes fraîchement diplômés, afin d’étudier l’histoire naturelle des tropiques. Pour mieux se préparer, Darwin rejoint les cours de géologie du révérend Adam Sedgwick et, durant l’été, l’assiste à la réalisation dune carte géologique dans le pays de Galles[C 4]. Après avoir passé une quinzaine de jours avec des amis étudiants à Barmouth, Darwin retourne chez lui et découvre une lettre d’Henslow qui le recommande comme naturaliste approprié (même si sa formation n’est pas complète) pour un poste non payé auprès de Robert FitzRoy, capitaine de lHMS Beagle, lequel part quatre semaines plus tard pour faire la cartographie de la côte de l’Amérique du Sud. Son père s’oppose d’abord à ce voyage de deux ans qu’il considère comme une perte de temps, mais il est finalement convaincu par son beau-frère, Josiah Wedgwood II, et finit par donner son accord à la participation de son fils[A 7].
Voyage du Beagle
Le voyage du Beagle (27 décembre 1831 – 2 octobre 1836).

Sur les cinq années de lexpédition du Beagle (1831-1836), Darwin passe les deux tiers du temps à terre. Il fait un grand nombre dobservations géologiques, récolte des organismes vivants ou fossiles, et conserve avec méthode une riche collection de spécimens, bon nombre dentre eux étant nouveaux pour la science[12]. À plusieurs reprises durant le voyage, il envoie des spécimens à Cambridge, accompagnés de lettres sur ses découvertes. Cela va contribuer à établir sa réputation de naturaliste. Ses longues notes détaillées montrent sa capacité à théoriser et forment la base de ses travaux ultérieurs. Le journal qu’il tient alors, à l’origine destiné à sa famille, est publié sous le titre The Voyage of the Beagle (Le Voyage du Beagle). Il y récapitule ses observations, et fournit des informations sociales, politiques et anthropologiques sur un grand nombre de personnes qu’il rencontre, coloniaux comme indigènes[A 8].

Avant le départ, Robert FitzRoy[N 1],[C 5] avait donné à Darwin le premier volume des Principles of Geology de Sir Charles Lyell qui explique les reliefs terrestres par l’accumulation de processus graduels sur de très longues périodes de temps. À leur première escale à l’île de Santiago au Cap-Vert, Darwin observe une bande blanche en altitude dans des falaises volcaniques, bande composée de fragments de coraux et de coquillages cuits. Cette observation, conforme au principe de Lyell sur la lente montée ou descente des reliefs, ouvre à Darwin une nouvelle perspective sur lhistoire géologique de lîle, et lui donne lidée décrire un livre sur la géologie[C 6]. Cette découverte sera suivie par d’autres encore plus décisives[12]. Il observe que les plaines de Patagonie sont constituées de galets et de coquillages, comme des plages surélevées ; par ailleurs, lors de ses observations sur le séisme du 20 février 1835 à Concepción au Chili, il reprend le témoignage de FitzRoy qui a constaté la présence de bancs de moules au-dessus du niveau des pleines mers, ce qui indique que le niveau de la terre a été récemment surélevé. En altitude, dans les Andes, il observe que des arbres fossiles se sont développés sur une plage de sable, à proximité de coquillages marins. Enfin, il postule que les séismes sont « une étape dans lélévation dune chaîne de montagnes »[13] et émet la théorie selon laquelle les atolls coralliens se forment sur des cônes volcaniques en cours de submersion, ce quil confirme après que le Beagle est passé dans les îles Cocos[A 9],[L 5],[O 1].
Alors que le Beagle explore les côtes sud-américaines (ici la Terre de Feu), Darwin commence à théoriser sur les merveilles de la nature autour de lui. Peinture de Conrad Martens réalisée pendant le voyage.

En Amérique du Sud, Darwin découvre des fossiles de mammifères géants éteints inclus dans des couches de coquillages marins récents, ce qui indique une extinction récente sans pour autant révéler de traces de catastrophe ou de changement climatique. Bien qu’il identifie correctement l’un de ces fossiles à un Megatherium et qu’il reconnaisse des fragments de carapace de tatou local, il estime que ces restes sont reliés à des espèces africaines ou européennes ; c’est seulement après son retour que Sir Richard Owen démontre que ces restes sont en réalité proches de créatures ne vivant quen Amérique[C 7],[14],[A 10].

Le deuxième volume de l’ouvrage de Charles Lyell argumente contre le transformisme de Lamarck et explique la distribution des espèces par des « centres de création » (la création divine ne se serait pas déroulée en une fois, mais en plusieurs fois, après des catastrophes ayant fait disparaître les espèces précédentes)[A 11]. Darwin le reçoit et le lit avec attention, il en déduit des idées qui dépassent ce quavait imaginé Lyell[A 12]. En Argentine, il observe que les deux types de nandous occupent des territoires séparés mais se chevauchant en partie. Sur les îles Galápagos, il collecte des miminis et note qu’ils diffèrent en fonction de l’île de provenance. Il avait également entendu dire que les Espagnols vivant dans ces régions sont capables de dire d’où viennent les tortues à leur simple aspect, mais les Espagnols ont conclu qu’ils les ont eux-mêmes introduites[A 13]. En Australie, l’ornithorynque et le rat-kangourou lui semblent si étranges qu’ils semblent avoir été l’œuvre de deux créateurs différents[M 1].

Au Cap, Darwin et FitzRoy rencontrent Sir John Herschel, qui avait depuis peu écrit à Lyell au sujet du « mystère des mystères », l’origine des espèces. Lorsqu’il organise ses notes pendant son voyage de retour, Darwin écrit que si ses soupçons au sujet des miminis et des tortues sont justes, « de tels faits sapent la stabilité des espèces », puis, il ajoute prudemment le conditionnel « pourraient »[15],[16]. Il écrit plus tard que « de tels faits m’ont semblé jeter un peu de lumière sur l’origine des espèces »[N 2].

Trois indigènes de la Terre de Feu qui avaient été accueillis par le Beagle lors de son précédent voyage sont à bord : ils y reviennent comme missionnaires. Durant leur séjour de deux ans en Angleterre, ils sont devenus des « civilisés », aussi leurs proches apparaissent-ils à Darwin comme des « sauvages malheureux et avilis »[17]. Un an plus tard[N 3], les missionnaires qui ont été laissés sur place ont abandonné leur mission et seul Jemmy Button vient à leur rencontre ; il est en effet retourné à la vie sauvage et il leur annonce quil na « aucun désir de retourner en Angleterre » et quil est « content et comblé » de son sort[M 2]. À cause de cette expérience, Darwin vient à penser que lhomme nest pas tant éloigné des animaux, et que la différence est surtout due à des différences davancées culturelles entre civilisations plutôt quà des différences raciales. Il déteste l’esclavage qu’il a vu ailleurs en Amérique du Sud, et est désolé des effets du peuplement européen sur les aborigènes dAustralie comme sur les Māori de Nouvelle-Zélande[C 8]. FitzRoy est chargé d’écrire le récit officiel du voyage du Beagle ; peu avant la fin du périple, il lit le journal de Darwin et lui demande de le retravailler afin den faire le troisième volume, celui consacré à l’histoire naturelle[C 9].
Début de la théorie de lévolution de Darwin
Encore jeune homme, Charles Darwin rejoint lélite scientifique britannique. Portrait par George Richmond, fin des années 1830.

Alors que Darwin est toujours en voyage, Henslow travaille à faire connaître son ancien élève en communiquant à des naturalistes éminents des exemplaires de fossiles et une brochure de Darwin contenant ses lettres sur la géologie[18]. Au retour du Beagle, le 2 octobre 1836, Charles Darwin est devenu une célébrité dans les cercles scientifiques. Après être passé à sa maison de Shrewsbury et avoir revu sa famille, il retourne au plus vite à Cambridge pour voir Henslow, qui lui conseille de trouver des naturalistes capables de décrire les collections et den établir le catalogue, et qui accepte lui-même de soccuper des spécimens de botanique. Le père de Darwin rassemble alors des fonds qui permettent à son fils de devenir un homme de science financièrement indépendant. Cest donc un Darwin enthousiaste qui fait le tour des institutions de Londres dans lesquelles il est partout honoré. Il cherche alors des experts pour décrire les collections, mais les zoologistes ont un énorme retard dans leur travail et certains spécimens courent le risque dêtre tout simplement oubliés dans les réserves[A 14].

Cest avec une grande curiosité que Charles Lyell rencontre Darwin pour la première fois, le 29 octobre, et il se hâte de le présenter à Sir Richard Owen, un anatomiste promis à un bel avenir, qui a à sa disposition les équipements du Collège royal de chirurgie pour étudier les ossements fossiles que Darwin a recueillis. Parmi les résultats surprenants dOwen figurent des paresseux géants, un crâne semblable à celui dun hippopotame appartenant au Toxodon, un rongeur éteint, ainsi que des fragments de carapace dun énorme tatou disparu (le glyptodon), et que Darwin a dès le départ conjecturé[19],[16]. Ces créatures fossiles nont en effet aucun rapport avec les animaux africains, mais sont étroitement liées aux espèces vivant en Amérique du Sud[A 15],[C 10].
La première esquisse de Darwin dun arbre phylogénétique tirée de son First Notebook on Transmutation of Species (1837).

À la mi-décembre, Darwin se rend à Cambridge pour organiser le travail sur ses collections et réécrire son journal[C 11]. Il rédige son premier article où il montre que la masse continentale sud-américaine connaît une lente surrection et, chaudement appuyé par Lyell, le lit à la Société géologique de Londres le 4 janvier 1837. Le même jour, il offre à la Société zoologique ses exemplaires de mammifères et doiseaux. Lornithologue John Gould ne tarde pas à faire savoir que les oiseaux des Galápagos que Darwin croit être un mélange de merles, de « gros-becs » et de fringillidés, constituent, en fait, treize espèces distinctes de fringillidés. Le 17 février 1837, Darwin est élu au Conseil de la Société géographique et, dans son adresse présidentielle, Lyell présente les conclusions dOwen sur les fossiles de Darwin, en insistant sur le fait que la continuité géographique des espèces confirme ses idées actualistes[A 16],[20].

Le 6 mars 1837, Darwin sinstalle à Londres pour se rapprocher de sa nouvelle charge à la société de géographie. Il se joint au cercle formé autour de scientifiques et de savants comme Charles Babbage notamment, qui croit que Dieu a davance ordonné la vie selon des lois naturelles sans procéder à des créations miraculeuses ad hoc. Darwin vit près de son frère Erasmus, un libre-penseur, qui fait partie du cercle Whig et dont lamie intime, lauteur Harriet Martineau, promeut les idées de Thomas Malthus quon trouve à la base des réformes de la Poor Law prônées par les Whigs. La question de Sir John Herschel sur lorigine des espèces est alors abondamment discutée. Des personnalités du milieu médical, y compris le Dr James Manby Gully vont même jusquà rejoindre Grant dans ses idées de transformation des espèces, mais aux yeux des scientifiques amis de Darwin une hérésie aussi radicale met en péril la base divine de lordre social déjà menacé par la récession et les émeutes[A 17].

Consécutivement John Gould fait savoir que les moqueurs polyglottes des Galápagos originaires des différentes îles sont des espèces distinctes et pas seulement des variétés, tandis que les « troglodytes » constituent encore une autre espèce de fringillidés. Darwin na pas noté précisément de quelles îles proviennent les exemplaires de fringillidés, mais il trouve ces renseignements dans les notes dautres membres de lexpédition sur le Beagle, y compris celles de FitzRoy, qui a enregistré plus soigneusement ce quils ont eux-mêmes collecté. Le zoologiste Thomas Bell montre que les tortues des Galápagos sont indigènes dans larchipel. Avant la mi-mars, Darwin est convaincu que les animaux, une fois arrivés dans les îles, se sont en quelque sorte modifiés pour former sur les différentes îles des espèces nouvelles ; il réfléchit à cette transformation en notant le résultat de ses pensées sur le « carnet rouge » quil a commencé sur le Beagle. À la mi-juillet, il commence son carnet secret, le « carnet B », sur cette transformation et, à la page 36, il écrit « je pense » au-dessus de sa première esquisse dun arbre montrant lévolution[A 18],[16].
Surmenage, maladie et mariage

Alors quil est absorbé dans létude du transformisme, Darwin est pris par des travaux supplémentaires. Tandis quil en est encore à réécrire son Journal, il entreprend de réviser et de publier les rapports dexperts sur ses collections et, avec laide de Henslow, obtient une subvention de 1 000 livres sterling pour financer lécriture de Zoologie du Voyage du H.M.S. Beagle, éditée en plusieurs volumes. Il accepte des délais impossibles à tenir pour cette tâche ainsi que pour un livre sur la Géologie de lAmérique du Sud qui soutient les idées de Lyell. Darwin finit de rédiger son Journal le 20 juin 1837, juste au moment où la reine Victoria monte sur le trône, mais il lui reste encore à corriger les épreuves[C 12].

La santé de Darwin souffre dune réelle surcharge de travail. Le 20 septembre 1837, il ressent des « palpitations du cœur ». Son médecin lui ayant prescrit un mois de repos, il se rend alors à Shrewsbury chez des parents du côté maternel à Maer Hall mais il les trouve trop curieux de ses histoires de voyages pour lui laisser quelque repos. Sa cousine Emma Wedgwood, charmante, intelligente et cultivée, et de neuf mois plus âgée que Darwin, soigne la tante de celui-ci, laquelle est invalide. Son oncle Jos lui fait voir un endroit où des cendres ont disparu sous la glaise et suggère quil peut sagir du travail des lombrics. Cest ainsi lorigine dune conférence que Darwin fait à la Société géologique le 1er novembre, dans laquelle il démontre pour la première fois le rôle des lombrics dans la formation des sols[A 19],[21].

William Whewell incite Darwin à accepter la charge de secrétaire de la Société géologique. Après avoir dabord refusé cette tâche supplémentaire, il accepte le poste en mars 1838[A 20]. En dépit de la besogne apportée par les travaux décriture et dédition, il réalise des progrès remarquables sur le transformisme. Tout en gardant secrètes ses idées sur lévolution, il ne manque aucune occasion dinterroger les naturalistes expérimentés et, de façon informelle, les gens qui possèdent une expérience pratique comme les fermiers et les colombophiles[12],[A 21]. Avec le temps sa recherche sélargit : il se renseigne auprès de sa famille, enfants compris, du majordome de la famille, de voisins, de colons et danciens compagnons de bord[C 13]. Il englobe le genre humain dans ses spéculations initiales et, le 28 mars 1838, ayant observé un singe au zoo, il note la ressemblance entre son comportement et celui dun enfant[A 22].

Tous ces efforts finissent par se faire sentir et, dès juin 1838, il est forcé de saliter quelques jours sans interruption en raison de problèmes destomac, de migraines et de symptômes cardiaques[A 23]. Tout le reste de sa vie, il devra plusieurs fois sarrêter de travailler avec des épisodes de douleurs à lestomac, de vomissements, de furoncles sévères, de palpitations, de tremblements et dautres malaises, surtout dans les moments de tension, comme lorsquil doit assister à des réunions ou répondre à des controverses sur sa théorie. La cause de cette maladie reste inconnue de son vivant, et les traitements nont que peu de succès. Des essais récents de diagnostic suggèrent la maladie de Chagas, que lui ont peut-être communiquée des piqûres dinsectes en Amérique du Sud, la maladie de Menière, la maladie de Lyme[22] ou encore différents troubles psychologiques, comme le trouble panique[23]. Les spécialistes restent encore dans lincertitude à ce sujet[24].
Charles Darwin choisit de se marier avec sa cousine, Emma Wedgwood.

Le 23 juin 1838, il fait une pause dans son travail en allant faire un peu de géologie en Écosse. Il visite Glen Roy par un temps radieux pour voir les « terrasses » parallèles, ces replats taillés à flanc de coteau. Il y voit des plages surélevées, et en effet les géologues ont démontré plus tard quil sagit des berges dun lac glaciaire[A 24],[C 14],[L 6].

Complètement rétabli, il revient à Shrewsbury en juillet. Habitué à prendre continuellement des notes sur la reproduction animale, il griffonne des pensées décousues concernant sa carrière et ses projets sur deux petits morceaux de papier : lun comporte deux colonnes intitulées « Mariage » et « Pas de mariage ». Les avantages comprennent entre autres : « une compagne fidèle et une amie dans la vieillesse… mieux quun chien en tout cas » ; et à lopposé des points comme « moins dargent pour les livres » et « terrible perte de temps »[O 2]. Sétant décidé pour le mariage, il en discute avec son père, et rend ensuite visite à Emma le 29 juillet 1838. Il na pas le temps de faire sa demande en mariage mais, contre les conseils de son père, parle de ses idées sur le transformisme[A 25].

Pendant quil continue ses recherches à Londres, léventail de lectures très large de Darwin comprend alors, « pour se distraire » selon ses termes, la 6e édition de l’Essai sur le Principe de Population de Thomas Malthus ; celui-ci a calculé quen raison du taux de natalité, la population humaine peut doubler tous les 25 ans mais que, dans la pratique, cette croissance est freinée par la mort, la maladie, les guerres et la famine[12],[25],[A 26],[26]. Darwin est bien préparé pour saisir de suite que cela sapplique aussi au « conflit entre les espèces », remarqué pour les plantes par Augustin Pyrame de Candolle, et à la lutte pour la vie parmi les animaux sauvages, et que cest là la raison pour laquelle les effectifs dune espèce demeurent relativement stables. Comme les espèces se reproduisent toujours plus quil ny a de ressources disponibles, les variations favorables rendent les organismes qui en sont porteurs plus aptes à survivre et à transmettre ces variations à leur progéniture, tandis que les variations défavorables finissent par disparaître. Sensuit la formation de nouvelles espèces[A 26],[C 15],[27],[L 7]. Le 28 septembre 1838[12], il note ce nouvel éclairage de la question, le décrivant comme une sorte de moyen épistémologique pour introduire des structures plus adaptées dans les espaces de léconomie naturelle tandis que les structures plus faibles sont éjectées. Il dispose maintenant dune hypothèse de travail. Au cours des mois suivants, il compare les fermiers qui sélectionnent les meilleurs sujets pour lélevage à une Nature malthusienne faisant son choix parmi les variantes créées par le « hasard », « de telle sorte que chaque élément [de chaque] structure nouvellement acquise fût complètement mis en œuvre et perfectionné ». Il voit dans cette analogie « la plus belle partie de [sa] théorie »[A 27].

Le 11 novembre, il revient à Maer et fait sa demande à Emma, en lui exposant encore une fois ses idées. Elle accepte puis, dans les lettres quils échangent, elle montre à quel point elle apprécie sa franchise mais, du fait de son éducation anglicane très pieuse, elle laisse voir sa crainte que de telles hérésies par rapport à la foi puissent mettre en danger ses espoirs de le retrouver dans la vie éternelle. Pendant quil est en quête dun logement à Londres, les épisodes de maladie continuent et Emma lui écrit pour le presser de prendre un peu de repos, remarquant de façon presque prophétique : « Ne retombez donc plus malade, mon cher Charlie, avant que je puisse être auprès de vous pour prendre soin de vous ». Il trouve dans la Gower Street ce que le jeune couple appelle le « Cottage de lAra » (à cause de son intérieur criard), puis Darwin y déménage son « musée » à Noël. Le mariage est prévu pour le 24 janvier 1839, mais les Wedgwood retardent cette date. Le 24, Darwin a lhonneur dêtre élu membre de la Royal Society[A 28]. Le 29 janvier 1839, Darwin et Emma Wedgwood se marient à Maer, au cours dune cérémonie anglicane aménagée pour convenir aux Unitariens. Ils prennent alors immédiatement le train pour Londres et gagnent leur nouveau foyer[A 29].
Préparation de la publication de la théorie de la sélection naturelle

Darwin a trouvé la base de sa théorie de la sélection naturelle, mais il est cependant bien conscient de tout le travail quil reste à faire pour la rendre crédible aux yeux de ses collègues scientifiques, qui le critiquent farouchement. Le 19 décembre 1838, à la réunion de la Société géologique dont il est secrétaire, il voit Owen et Buckland ne rien cacher de leur haine contre lévolution en attaquant la réputation de son vieux maître Grant, disciple de Lamarck[A 30]. Le travail continue sur les conclusions auxquelles il est arrivé à bord du Beagle et, en même temps quil consulte des éleveurs, il multiplie les expériences sur les plantes, essayant de trouver des preuves qui répondent à toutes les objections auxquelles il sattend à partir du moment où sa théorie est communiquée[N 4]. Quand la Narration[28] de FitzRoy est publiée, en mai 1839, le Journal et Remarques de Darwin (plus connu sous le titre Le Voyage du Beagle) qui en constitue le troisième volume rencontre un tel succès que lon en fait une réédition séparée la même année[L 8].
Pendant plusieurs années, Darwin étudie les cirripèdes, ici lanatife Lepas anatifera.

Au début de 1842, Darwin envoie à Lyell une lettre pour lui exposer ses idées ; ce dernier est consterné de voir que celui qui a été son allié refuse maintenant « de voir un commencement à chaque groupe despèces ». En mai, le livre de Darwin sur les récifs coralliens est publié après plus de trois années de travail[29]. En juin il écrit alors une « esquisse sommaire » de sa théorie tenant en 35 pages[A 31],[L 9]. Pour échapper aux pressions de Londres, la famille sinstalle en novembre à la campagne, dans le domaine de Down House. Le 11 janvier 1844, Darwin écrit à son ami, le botaniste Sir Joseph Dalton Hooker, pour lui exposer sa théorie, en disant que cest presque avouer « un meurtre », mais, à son grand soulagement, Hooker croit qu« une modification graduelle des espèces pouvait bien avoir eu lieu » et il exprime son intérêt pour lexplication de Darwin. Vers le mois de juillet, Darwin développe une esquisse de ses vues dans un « essai » de 230 pages[A 32],[L 10]. Ses craintes de voir ses idées écartées comme une sorte de radicalisme lamarckien sont réveillées une nouvelle fois par la controverse que suscite en octobre une publication anonyme (lauteur se révélera être Robert Chambers) intitulée Vestiges de lHistoire naturelle de la Création[30]. Ce livre qui est un best-seller accroît lintérêt de la classe moyenne pour le transformisme, et ouvre ainsi la voie à Darwin. Cet ouvrage est néanmoins sévèrement attaqué par les scientifiques reconnus, ce qui lui rappelle la nécessité de répondre à toutes les difficultés avant de rendre publique sa théorie[B 2]. Darwin termine son troisième livre de géologie, Geological Observations on South America[31] en 1846 et entreprend à partir doctobre une vaste étude sur les cirripèdes avec laide de Hooker. En janvier 1847, Hooker lit l« essai » de Darwin et lui renvoie ses observations ; cest la critique sereine dont Darwin a besoin, même si Hooker remet en question son rejet de lidée dune création continue[A 33],[32],[N 5].

Pour essayer de traiter son état maladif chronique, Darwin se rend à Malvern, une ville thermale, en 1848. La cure de quelques mois lui fait un grand bien et il peut reprendre son travail à son retour. À la mort de son père le 13 novembre, il est néanmoins tellement affaibli quil ne peut assister aux funérailles[L 11]. En 1849, sa fille, Annie, tombe malade, ce qui réveille sa peur que la maladie puisse être héréditaire. Après une longue série de crises elle meurt en avril 1851, et Darwin perd alors toute foi en un Dieu bienveillant[A 34]. En 1851, Marcel de Serres publie Du perfectionnement graduel des êtres organisés [archive], qui illustre lémergence de théories évolutionnistes dans les milieux scientifiques européens.

Les huit années que Darwin passe à travailler sur les cirripèdes lui permettent de trouver des « homologies » qui confortent sa théorie en montrant que de légers changements morphologiques peuvent permettre à différentes fonctions daffronter des conditions nouvelles[L 12]. En 1853, il obtient la médaille royale de la Royal Society, ce qui établit sa réputation comme biologiste[A 34]. En 1854, il reprend le travail sur sa théorie des espèces et, en novembre, se rend compte que la divergence dans le caractère de descendants peut sexpliquer par le fait quils se sont adaptés « à des situations différentes dans léconomie de la nature »[L 13].
Publication de la théorie de la sélection naturelle
Darwin fut contraint à une publication précoce de sa théorie sur la sélection naturelle (portrait de 1854).

Au début de 1855, Darwin cherche à savoir si les œufs et les graines sont capables de survivre à un voyage dans leau salée et délargir ainsi la distribution de leurs espèces à travers les océans[33],[34],[35]. Joseph Dalton Hooker est de plus en plus sceptique quant à la conception traditionnelle selon laquelle les espèces sont immuables, mais son jeune ami Thomas Henry Huxley est fermement opposé à lévolution. Lyell est lui intrigué par les spéculations de Darwin sans se rendre vraiment compte de leur portée. Après avoir lu un article dAlfred Russel Wallace sur l’Introduction des espèces, il trouve des ressemblances avec les idées de Darwin et lui conseille de les publier pour établir son antériorité. Bien que Darwin ne voie là aucune menace, il commence néanmoins à rédiger un article court. Trouver des réponses aux questions difficiles larrête plusieurs fois, et il élargit alors son projet à un « grand livre sur les espèces » intitulé « La Sélection naturelle ». Il continue aussi ses recherches, obtenant des renseignements et des exemplaires auprès de naturalistes du monde entier, y compris Wallace qui travaille à Bornéo. En décembre 1857, Darwin reçoit de Wallace une lettre lui demandant si son livre examine les origines humaines. Il répond quil veut éviter un tel sujet, « si encombré de préjugés », tandis quil encourage lessai de théorisation de Wallace, ajoutant : « Je vais beaucoup plus loin que vous »[A 35].

Darwin en est à mi-chemin de son livre quand, le 18 juin 1858, il reçoit une lettre de Wallace qui décrit la sélection naturelle. Bien quennuyé davoir été « devancé », il la transmet à Lyell comme convenu et, bien que Wallace nait pas demandé quelle soit publiée, il propose de lenvoyer à nimporte quel journal choisi par Wallace. La famille de Darwin est alors plongée dans langoisse car dans le village des enfants meurent de la scarlatine, aussi remet il laffaire entre les mains de Lyell et de Hooker. Ils conviennent de présenter ensemble à la Linnean Society, le 1er juillet le discours intitulé Sur la Tendance des espèces à former des variétés ; et sur la Perpétuation des variétés et des espèces par les moyens naturels de la sélection[5]. Néanmoins, comme Charles, le dernier enfant des Darwin, alors encore au berceau, vient de mourir de la scarlatine, son père est trop bouleversé pour être présent[A 36].

Sur le moment on prête peu dattention à lannonce de cette théorie ; le président de la Linnean remarque en mai 1859 que lannée précédente na été marquée par aucune découverte révolutionnaire[C 16]. Par la suite, Darwin ne peut se souvenir que dune seule recension, celle du professeur Haughton, de Dublin, qui proclame que « tout ce quil y avait là de nouveau était inexact, et tout ce qui était exact nétait pas nouveau »[O 3]. Darwin sacharne pendant treize mois pour écrire un résumé de son « grand livre », souffrant de problèmes de santé, mais encouragé constamment par ses amis scientifiques, et Lyell sarrange pour le faire publier par Sir John Murray[A 37].

Louvrage Sur lOrigine des Espèces au moyen de la Sélection Naturelle, ou la Préservation des Races les meilleures dans la Lutte pour la Vie, titre dhabitude raccourci sous la forme LOrigine des espèces, a auprès du public un succès inattendu. Le tirage entier de 1 250 exemplaires est déjà réservé quand il est mis en vente chez les libraires le 22 novembre 1859[A 38]. Darwin y développe « une longue argumentation » fondée sur des observations détaillées, y expose des inférences et la prise en compte des objections attendues[N 6]. Cependant, sa seule allusion à lévolution chez lhomme est laffirmation, discrète, que « des lumières seront jetées sur lorigine de lhomme et son histoire ». Il évite ainsi le mot « évolution », controversé à lépoque, mais à la fin du livre il conclut que « des formes sans cesse plus belles et plus admirables ont été élaborées et continuent à lêtre »[N 7]. Sa théorie est exposée de façon simple dans lintroduction :

« Comme il naît beaucoup plus dindividus de chaque espèce quil nen peut survivre, et que, par conséquent, il se produit souvent une lutte pour la vie, il sensuit que tout être, sil varie, même légèrement, dune manière qui lui est profitable, dans les conditions complexes et quelquefois variables de la vie, aura une meilleure chance pour survivre et ainsi se retrouvera choisi dune façon naturelle. En raison du principe dominant de lhérédité, toute variété ainsi choisie aura tendance à se multiplier sous sa forme nouvelle et modifiée[N 8]. »

Réactions à sa publication
Caricature montrant Darwin avec un corps de singe et la grande barbe quil se laisse pousser à partir de 1866, magazine Hornet de 1871.

Malgré sa publication dans la précipitation — un de ses confrères, Alfred Russel Wallace, sapprête en effet à publier une théorie similaire —, louvrage de Charles Darwin suscite un vif intérêt, pour lépoque, le stock de 1 250 exemplaires prévus étant épuisé le jour de sa présentation aux librairies, le 22 novembre 1859. Cette première édition épuisée, une seconde de 3 000 exemplaires est publiée en janvier de lannée suivante. Son livre provoque une controverse que Darwin suit de près, conservant les coupures de presse avec les recensions, les articles, les railleries, les parodies et les caricatures[C 17]. Lévolution par la sélection naturelle fut largement discutée, voire dénigrée, particulièrement dans les communautés religieuses et scientifiques. Bien que Darwin soit soutenu par certains scientifiques (par exemple, Thomas Henry Huxley[B 3], Ernest Renan ou encore Ernst Haeckel qui le popularise très tôt en Allemagne), dautres hésitent à accepter sa théorie à cause de la capacité inexpliquée des individus à transmettre leurs capacités à leurs descendants. En effet, Darwin reprend lidée, très populaire à lépoque, de la transmission des caractères acquis ; il en propose même une théorie dans son ouvrage de 1868. Ce dernier point est pourtant étudié au même moment par Gregor Mendel, mais il ne semble pas que les deux hommes aient communiqué à ce propos[36],[37]. Même avec les lois de Mendel, le mécanisme sous-jacent reste un mystère jusquà ce que lon découvre lexistence des gènes.

Les critiques hostiles ont très tôt fait de tirer les conséquences qui ne sont pas exprimées, comme le fait que « les hommes descendent des singes ». Pourtant, dans LOrigine des espèces, Darwin ne parle pas des origines de lhomme. Le public confond les idées exprimées dans le livre de Darwin avec celles de Lamarck, qui cinquante ans auparavant a avancé cette idée, sans alors faire scandale. Parmi les réponses favorables, les recensions de Huxley adressent des critiques à Richard Owen, chef de lestablishment scientifique quil voulait ébranler. Le verdict dOwen reste inconnu jusquà ce que son compte-rendu davril condamne finalement le livre[A 39]. Lestablishment scientifique de lÉglise dAngleterre, qui comprend les anciens maîtres de Darwin à Cambridge, Adam Sedgwick et John Stevens Henslow, réagit de façon hostile, malgré un accueil favorable dans la génération plus jeune des naturalistes professionnels. En 1860 cependant, la publication de Essays and Reviews par sept théologiens anglicans libéraux détourne de Darwin lattention des hommes dÉglise. Ces derniers condamnent comme hérétique une telle manifestation de la critique libérale car on y trouve entre autres cet argument que, par les miracles, Dieu enfreint ses propres lois[A 40].
Autre célèbre caricature de Darwin, française, reproduite dans le magazine satirique La Petite Lune.

Le débat public le plus fameux a lieu à Oxford lors dune réunion de lAssociation britannique pour lAvancement des Sciences. Le professeur John William Draper prononce un long plaidoyer en faveur de Darwin et du progrès social ; cest alors que lévêque dOxford, Samuel Wilberforce, sen prend à Darwin. Dans la discussion qui sensuit, Joseph Dalton Hooker prend énergiquement parti pour Darwin tandis que Thomas Huxley se constitue comme le « bouledogue de Darwin ». Il fut en effet le défenseur le plus farouche de la théorie de lÉvolution à lépoque victorienne. Les deux partis se séparent en criant victoire chacun, mais Huxley reste célèbre par sa réponse. Comme Wilberforce lui avait demandé sil descend du singe par son grand-père ou par sa grand-mère, Huxley rétorque : « cest Dieu lui-même qui vient de le livrer entre mes mains » et il réplique quil « préférerait descendre dun singe plutôt que dun homme instruit qui utilisait sa culture et son éloquence au service du préjugé et du mensonge »[38],[A 41].

Le débat déborde le cadre de la science, de lÉglise anglicane et du protestantisme. Les autorités de lÉglise catholique entrent dans la polémique. Dès 1860, en effet, une réunion dévêques qui se tient à Cologne[39] précise la position catholique. Sans condamner Darwin, ni le principe de lévolution des espèces animales, les évêques affirment quune intervention divine est nécessaire au moins à lorigine de lunivers (pour lui donner son existence et ses lois) ainsi que lors de lapparition de lhomme. Ce sera désormais la position constante des autorités catholiques (moins hostiles à lévolution que les courants protestants dits « créationnistes »).

Tenu éloigné des discussions publiques par sa maladie, Darwin nen lit pas moins avec passion ce quon rapporte et reçoit des soutiens par courrier. Asa Gray convainc un éditeur aux États-Unis de payer des droits dauteur, et Darwin fait venir et distribue la brochure de Gray qui montre que la sélection naturelle nest nullement incompatible avec la théologie naturelle[A 42],[40]. En Grande-Bretagne, ses amis, y compris Hooker[41] et Lyell[42], prennent part aux discussions scientifiques quHuxley mène avec rage pour briser la domination de lÉglise, incarnée par Owen, en faveur dune nouvelle génération de professionnels de la science. Owen commet en effet lerreur dinvoquer certaines différences anatomiques entre le cerveau du singe et le cerveau humain, et accuse Huxley de soutenir que « lhomme descend du singe ». Huxley est heureux de soutenir cette opinion et sa campagne, qui dure plus de deux ans, est une vraie catastrophe pour Owen et la « vieille garde »[A 43], qui se trouvent ainsi éliminés des débats. Les amis de Darwin forment alors le « Club X ». Ils laident à lui valoir lhonneur de la médaille Copley que lui décerne la Royal Society en 1864[42].

Si louvrage Vestiges a déjà suscité dans le public le plus vaste intérêt, LOrigine des espèces est traduit dans un grand nombre de langues et connaît de nombreuses réimpressions, devenant un texte scientifique de base accessible aussi bien à une classe moyenne curieuse de cette nouveauté quaux simples travailleurs qui se pressent aux conférences dHuxley. La théorie de Darwin[43] correspond dailleurs aux différents mouvements sociaux de lépoque[44] et elle devient un des fondements clés de la culture populaire (par exemple, la chanson A lady fair of lineage high de William S. Gilbert et Arthur Sullivan interprétée par Princess Ida, qui décrit lascendance simiesque de lhomme, mais pas des femmes).
Descent of Man et dernières années
Portrait de Charles Darwin réalisé en 1868 par Julia Margaret Cameron.
Portrait de Charles Darwin en 1875 par Walter William Ouless.

Malgré des rechutes continuelles pendant les vingt-deux dernières années de sa vie, Darwin continue son travail. Il publie un résumé de sa théorie mais les aspects les plus controversés de son « grand livre » restent incomplets, y compris la preuve explicite du fait que lhumanité descend danimaux antérieurs à elle, et la recherche de causes possibles qui sont à la base du développement de la société et des capacités mentales de lhomme. Il doit encore expliquer des caractéristiques sans utilité évidente si ce nest dans un but esthétique. Darwin continue par conséquent à faire des expériences, à chercher et à écrire.

Quand la fille de Darwin tombe malade, il suspend ses expériences sur les semences et les animaux domestiques pour laccompagner au bord de la mer ; là il sintéresse aux orchidées[45],[46] et il en résulte une étude révolutionnaire sur la façon dont la beauté des fleurs sert à assurer la pollinisation par les insectes et à garantir une fertilisation avec croisement. Comme avec les balanes, les parties homologues remplissent des fonctions différentes chez les diverses espèces. De retour chez lui, il retrouve son lit de malade dans une pièce que remplissent ses expériences sur les plantes grimpantes. Il reçoit la visite dErnst Haeckel, un de ses admirateurs et qui a propagé sa théorie en Allemagne[47]. Wallace continue aussi à le soutenir, bien quil verse de plus en plus dans le spiritisme[48].

De la variation des animaux et des plantes sous laction de la domestication (1868)[49] constitue la première partie du « grand livre » que Darwin projette décrire. Il travaille alors au développement du « résumé » quil a publié sous le titre LOrigine des espèces. Cette première partie sagrandit jusquà devenir deux gros volumes, le forçant à laisser de côté lévolution humaine et la sélection sexuelle. Elle se vend bien malgré sa taille[A 44].

Dans ce livre, Darwin continue à soutenir quune des causes de lévolution est leffet de lusage et du non-usage, théorie déjà exposée par Lamarck[50] quon appela plus tard transmission ou hérédité des caractères acquis[51]. Il sefforce maintenant de donner une explication théorique de lhérédité des caractères acquis à laide de lhypothèse de la pangenèse[52],[53]. Un livre supplémentaire de démonstrations, qui traite dans le même style de la sélection naturelle, est écrit en grande partie, mais reste inédit jusquà ce quil soit transcrit en 1975[54].

La question de lévolution humaine a été soulevée par ses partisans (et ses détracteurs) peu de temps après la publication de LOrigine des espèces[55], mais la contribution propre de Darwin sur ce sujet apparaît plus de dix ans plus tard avec louvrage en deux volumes La Filiation de lhomme et la sélection liée au sexe, publié en 1871. Dans le deuxième volume, Darwin délivre en toutes lettres sa conception de la sélection sexuelle pour expliquer lévolution de la culture humaine, les différences entre les sexes chez lhomme et la différenciation des races humaines, aussi bien que les sons et la musique ou encore la beauté du plumage chez les oiseaux, lequel ne semble pas, selon lui, le résultat dune adaptation[56]. Lannée suivante Darwin publie son dernier travail important, LExpression des émotions chez lhomme et les animaux, consacré à lévolution de la psychologie humaine et sa proximité avec le comportement des animaux. Il développe ses idées selon lesquelles chez lhomme lesprit et les cultures sont élaborés par la sélection naturelle et sexuelle[57], conception qui a connu une nouvelle jeunesse à la fin du XXe siècle avec lémergence de la psychologie évolutionniste[58]. Comme il conclut dans La Filiation de lHomme, Darwin estime quen dépit de toutes les « qualités nobles » de lhumanité, et des « pouvoirs quelle avait développés », « Lhomme porte toujours dans sa constitution physique le sceau ineffaçable de son humble origine »[K 2]. Ses expériences et ses recherches concernant lévolution trouvent leur conclusion dans des ouvrages sur le mouvement des plantes grimpantes, les plantes insectivores, les effets des croisements des plantes et leur auto-fertilisation, les différentes formes de fleurs sur des plantes de la même espèce, toutes recherches publiées dans La Capacité des plantes à se mouvoir. Dans ce dernier livre, il revient également à linfluence des lombrics sur la formation des sols[6].

Charles Darwin meurt à Downe, dans le Kent, le 19 avril 1882. Il a demandé à être enterré au cimetière St. Mary à Downe[59], mais sur les instances des collègues de Darwin, et notamment William Spottiswoode, président de la Société royale qui intervient pour quil reçoive des funérailles officielles, il est enterré dans labbaye de Westminster, près de lastronome John Herschel et du physicien Isaac Newton[C 18].
Enfants de Darwin
Darwin en 1842 avec son fils aîné, William Erasmus Darwin.
Darwin en 1842 avec son fils aîné, William Erasmus Darwin.
Les enfants de Darwin
William Erasmus Darwin (27 décembre 1839 – 8 juin 1914)
Anne Elizabeth Darwin (2 mars 1841 – 22 avril 1851)
Mary Eleanor Darwin (23 septembre 1842 – 16 octobre 1842)
Henrietta Emma Etty Darwin (25 septembre 1843 – 17 décembre 1929)
George Howard Darwin (9 juillet 1845 – 7 décembre 1912)
Elizabeth Bessy Darwin (8 juillet 1847 – 1926)
Francis Darwin (16 août 1848 – 19 septembre 1925)
Leonard Darwin (15 janvier 1850 – 26 mars 1943)
Horace Darwin (13 mai 1851 – 29 septembre 1928)
Charles Waring Darwin (6 décembre 1856 – 28 juin 1858)

Les Darwin eurent dix enfants : deux moururent en bas âge, et la disparition dAnnie, alors quelle navait que dix ans, affecta profondément ses parents. Charles était un père dévoué et très attentif envers ses enfants. Chaque fois quils tombaient malades, il craignait que ce soit dû à la consanguinité, puisquil avait épousé sa cousine, Emma Wedgwood. Il se pencha sur cette question dans ses écrits, mettant en opposition les avantages des croisements chez beaucoup dorganismes[A 45]. Malgré ses craintes, la plupart des enfants qui survécurent firent des carrières remarquables, se distinguant même à lintérieur de la famille Darwin-Wedgwood, déjà composée desprits fort brillants[60].

Parmi eux, George, Francis et Horace devinrent membres de la Royal Society, se signalant respectivement comme astronome[61], botaniste et ingénieur civil[62]. Son fils Leonard fut militaire, politicien, économiste. Partisan de leugénisme, il eut comme disciple Sir Ronald Aylmer Fisher (1890-1962)[63], statisticien et biologiste de lévolution.
Conceptions religieuses de Charles Darwin
Article détaillé : Opinion de Charles Darwin sur la religion.
La mort de sa fille, Annie, en 1851, fut lévénement qui écarta Darwin, déjà en proie au doute, de la foi en un Dieu bienfaisant.

Bien que sa famille fût en majorité non-conformiste et que son père, son grand-père et son frère fussent libres-penseurs[A 46], au début, Darwin ne doutait pas de la vérité littérale de la Bible[L 14]. En ce sens, « lœuvre de Darwin et sa postérité sinscrivent plus précisément encore dans le cadre de lépoque victorienne »[B 4]. Il avait fréquenté une école de lÉglise dAngleterre, puis étudié la théologie anglicane à Cambridge pour embrasser une carrière ecclésiastique[A 47]. Il avait été convaincu par largument téléologique de William Paley qui voyait dans la nature un dessein prouvant lexistence de Dieu[L 4] ; cependant, au cours du voyage du Beagle Darwin se demanda, par exemple, pourquoi de superbes créatures avaient été faites au fond des océans là où personne ne pourrait les voir, ou comment il était possible de concilier la conception de Paley dun dessein bienveillant avec la guêpe ichneumon qui paralyse des chenilles pour les donner à ses œufs comme des aliments vivants[64],[65],[L 15]. Il restait tout à fait orthodoxe et citait volontiers la Bible comme une autorité dans le domaine de la morale, mais ne croyait plus à lhistoricité de lAncien Testament[O 4].

Alors quil menait ses recherches sur la transformation des espèces Darwin savait que ses amis naturalistes y voyaient une hérésie abominable qui mettait en péril les justifications miraculeuses sur lesquelles était fondé lordre social ; sa théorie ressemblait alors aux arguments radicaux quutilisaient les dissidents et les athées pour attaquer la position privilégiée de lÉglise dAngleterre en tant quÉglise établie[A 48]. Bien que Darwin eût écrit que la religion était une stratégie tribale de survivance, il croyait cependant toujours que Dieu était le législateur suprême[66],[67]. Cette conviction fut peu à peu ébranlée et, avec la mort de sa fille Annie en 1851, il finit par perdre toute foi dans le christianisme[A 49]. Il continua à aider son église locale pour le travail paroissial, mais le dimanche il allait se promener pendant que sa famille se rendait à léglise. Désormais, il jugeait préférable de regarder la douleur et les souffrances comme le résultat de lois générales plutôt que dune intervention directe de Dieu[L 16]. Interrogé sur ses conceptions religieuses, il écrivit quil navait jamais été un athée dans le sens où il aurait nié lexistence de Dieu mais que, de façon générale, « cest lagnosticisme qui décrirait de la façon la plus exacte [son] état desprit »[L 17].

Le Récit de Lady Hope, publié en 1915, soutenait que Darwin était revenu au christianisme au cours de sa dernière maladie. Une telle affirmation a été démentie par ses enfants et les historiens lont également écartée. Sa fille, Henrietta, qui était à son lit de mort, a en effet dit que son père nétait pas retourné au christianisme[68]. Ses derniers mots ont été en réalité adressés à Emma : « Rappelez-vous la bonne épouse que vous avez été »[C 19].
Darwinisme
Théorie de la sélection naturelle
Article détaillé : Sélection naturelle.

Si la théorie du transformisme de Lamarck a ouvert la voie, la révolution évolutionniste est arrivée avec Charles Darwin et son ouvrage De lorigine des espèces (1859) dans lequel deux grandes idées, appuyées par des faits, émergent : lunité et la diversité du vivant sexpliquent par lévolution, et le moteur de lévolution adaptative est la sélection naturelle. Un manuscrit inachevé de 1856-1858 permet dattirer lattention sur le fait que la théorie de la sélection naturelle telle quexposée dans De lOrigine des Espèces nétait pour Darwin quun résumé provisoire de ses vues. Darwin avait en effet projeté décrire trois volumes (lun sur les variations des espèces domestiques, un second sur celles à létat de nature et un dernier consacré à la sélection naturelle générale). La crainte de perdre la paternité de sa découverte au profit de Alfred Wallace poussa Darwin à ne publier que ses écrits provisoires et partiels. En effet, seul le premier parut, en 1868, dans De lOrigine des Espèces, accompagné de réponses à déventuelles critiques sur divers sujets[B 5].
Histoire de lexpression

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